La Mondo-Note :
Carte d’identité :
Nom : Sorry we missed you
Père : Ken Loach
Date de naissance : 2019
Majorité : 23 octobre 2019
Type : Sortie en salles
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h40 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone…
Signes particuliers : Ken Loach était (encore) à Cannes avec un grand film.
ON A BESOIN DE LA VOIX DE KEN LOACH
NOTRE AVIS SUR SORRY WE MISSED YOU
Synopsis : Ricky, Abby et leurs deux enfants vivent à Newcastle. Leur famille est soudée et les parents travaillent dur. Alors qu’Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile, Ricky enchaîne les jobs mal payés ; ils réalisent que jamais ils ne pourront devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. C’est maintenant ou jamais ! Une réelle opportunité semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette afin de devenir chauffeur-livreur à son compte. Mais les dérives de ce nouveau monde moderne auront des répercussions majeures sur toute la famille…
C’est devenu presque un gimmick annuel dont on plaisante. Chaque année à l’heure où le festival de Cannes annonce sa sélection, on attend (et entend) le nom de Ken Loach comme une sorte d’habitude ou de tradition. Chaque année, on est dépité du manque d’imagination et de surprise émanant de la Croisette et (presque) chaque année, le cinéaste britannique vient justifier sa présence par une nouvelle œuvre forte qui colle parfaitement à l’essence même de Cannes. Le but du festival est de regrouper des regards divers et variés sur notre monde. C’est ce que fait Ken Loach depuis maintenant cinq décennies. Offrir son regard sur la société anglaise (et souvent par extension sur nos sociétés occidentales en général), donner la parole aux « petites gens » de l’ombre qui se battent au jour le jour, représenter la dureté du quotidien, montrer ce qui cloche dans notre monde moderne où l’argent a tristement pris le dessus sur l’humain. Chaque nouvelle plongée sociale est comme une tribune cinématographique à la dénonciation importante, pertinente, nécessaire. Avec Sorry We Missed You, Ken Loach construit cette fois sa dernière charge autour de Ricky, un chef de famille qui devient chauffeur-livreur franchisé roulant pour le compte d’une boîte de livraison de colis. Vous voyez ce livreur Amazon qui se pointe chez vous à 22h le soir et à propos duquel vous ne vous étonnez même pas qu’Amazon livre encore à 22h ? Bah c’est Ricky. Ou plutôt, c’est un Ricky parmi des milliers. Et le portrait qui va découler de son histoire est effrayant.
A travers Sorry We Missed You, Ken Loach signe une chronique sociale plus dépouillée et émotionnellement moins instrumentalisée que son dernier (mais néanmoins magnifique) Moi, Daniel Blake). Dans la veine d’efforts tels que The Navigators, le cinéaste rend à la fois hommage aux bosseurs qui galèrent à joindre les deux bouts et dénonce à nouveau une société capitaliste qui écrase l’individu sous le poids du besoin de rentabilité. Comme Ricky, qui travaille 14h par jour, 6/7 jours, et pour qui son boulot devient une aliénation inextricable ruinant sa vie de famille et sa vie tout court. Lever le pied ? Impossible. Les factures, les dettes, les emprunts, les aberrations du système, tout est fait pour le pousser à enchaîner encore et encore jusqu’au delà du point de rupture. On dit bien « au-delà » car même le point de rupture n’est désormais plus une raison pour arrêter. Et la manière dont est construite la fin du film s’érige en argument ultime illustrant un monde qui ne tourne définitivement plus rond.
Selon l’état d’esprit avec lequel on l’aborde, Sorry We Missed You sera révoltant ou déprimant. Peut être un peu les deux. Révoltant car Loach y traduit une fois encore une situation ubuesque mais réaliste qui montre que le monde a perdu tout sens et toute logique. Déprimant car le cinéaste n’a jamais été un poseur de solutions. Ce n’est pas son job. Loach n’est pas un politicien, c’est un artiste qui utilise sa notoriété d’artiste pour exprimer les maux de ses concitoyens. Nos maux. Et ce qu’il montre avec ce nouveau long-métrage, c’est que pour beaucoup, il est fini le temps où l’on vivait sa vie. Désormais, il est davantage question de survivre, de tenir bon, d’éviter de couler, emporté par un système qui réclame toujours plus. Plus d’argent, plus d’obligations, plus de charges à porter. Sorry We Missed You est un uppercut loachien, un portrait terriblement banal et dont cette même banalité est angoissante. Porté par des comédiens d’une authenticité bouleversante, Sorry We Missed You est une énième tragédie individuelle filmée avec la justesse habituelle de Ken Loach. On pourrait avoir l’impression que le metteur en scène se répète inlassablement depuis des lustres. Pas faux. Mais en même temps, il faut bien que quelqu’un répète en boucle ce message-réquisitoire pointant du doigt les dérives d’une société capitaliste devenue assoiffée du sang et de la sueur de ses victimes. Comme Ricky et son job à devenir dingue. Comme sa femme qui s’occupe de personnes âgés et assiste impuissante à une horreur sociale. Ce qui est déprimant ? Plus la société évolue, moins l’humain avance. Et on a vraiment besoin de la voix de Kean Loach pour marteler cette idée désespérante. Faites qu’elle résonne encore longtemps car nous sommes tous les victimes de ce système qui finira bien par collapser. Ce jour-là, il sera sans doute trop tard.
Par Nicolas Rieux
BANDE-ANNONCE :