A l’occasion de la sortie de la comédie Le Tout Nouveau testament », qui sera sur les écrans à partir du 02 septembre prochain, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer le réalisateur Jaco van Dormael (Mr Nobody) pour échanger longuement sur son film.
L’histoire : Dieu existe. Il habite à Bruxelles. Il est odieux avec sa femme et sa fille. On a beaucoup parlé de son fils, mais très peu de sa fille. Sa fille c’est moi. Je m’appelle Ea et j’ai dix ans. Pour me venger j’ai balancé par SMS les dates de décès de tout le monde…
Quelles sont les origines du projet et est-ce que toutes les idées visuelles étaient présentes dès le départ dans le scénario ou sont-elles venues au cours de la production ?
Jaco van Dormael : C’est un art collectif le cinéma, c’est ça qui est chouette d’ailleurs. On a écrit le scénario à deux avec Thomas Gunzig. Un scénario, ce sont des images qui sont là dans la tête, et qu’il fait bien décrire avec des mots. Les dialogues, les voix off peuvent être très littéraires mais les mots pour décrire ce que l’on voit et entend, sont assez plats. Quand j’écris, j’essaie de décrire des plans qui sont en perspective, rythmés, montés. Après, ce qui est chouette, c’est que je travaille avec des gens et ça devient beaucoup mieux ! Y’a des acteurs en chair et en os qui arrivent, y’a un chef op qui arrive, puis y’a des rails, des clous, de la peinture, et tout à coup, ça devient concret alors que chacun amène quelque-chose que je n’aurai pas pu anticiper. Ce que chacun amène rend le film plus complexe, rajoute des couches de compréhension, des couches de perception en plus qui font que ça devient… Un film, c’est une symphonie avec plein de gens qui jouent en même temps. On dit « un film de tel réalisateur« , mais en vrai, c’est un film de lui et de tous les gens qui l’ont fait.
Quel est votre rapport à la religion, êtes-vous croyant ?
Jaco van Dormael : Je ne suis pas croyant. Ceci dit, je trouve que c’est très chouette pour ceux qui le sont car ça donne une force. Moi, je suis plutôt quelqu’un qui aime le doute, et je crois dans le doute. Avec Le Tout Nouveau Testament, je ne voulais pas du tout faire un film sur la religion, je voulais plutôt me servir du pitch… En même temps le bouquin d’origine, La Bible, est plutôt bien écrit il faut dire… (rires) Je voulais, comme on ferait pour un conte de fée, me servir de l’idée qui est connue de tout le monde, pour en faire un autre conte qui serait un peu décalé, qui parlerait d’autre chose, qui parlerait aussi un peu des femmes parce que je crois que les femmes disent quelque-chose comme 6 phrases au total dans le Nouveau Testament de la Bible. Et si Dieu avait eu une fille ? Et si Dieu avait été une femme, qu’est-ce que ça aurait donné ?
Le fait de dépeindre Dieu comme il est dans le film, vous n’avez pas eu de réticences de producteurs qui ont trouvé ça un peu touchy ?
Jaco van Dormael : Je suis mon propre producteur donc j’étais d’accord avec moi-même ! Je n’ai pas essayé de faire un film provocateur, ou pas provocateur d’ailleurs. C’est plutôt un conte. Je pense que si le Pape voit ça, il va bien rigoler, parce qu’il n’est pas con. Le précédent n’aurait peut-être pas ri mais celui-ci, je pense que oui. Puis je pense que les non-croyants ont aussi le droit de parler de ces choses. Mais je ne trouve pas le film « touchy ». Peut-être que ça peut froisser des gens, j’en sais rien. On verra bien quand ça va sortir.
Par rapport au casting, il y a un peu tous les grands du cinéma belge, il manque que Bouli Lanners.
Jaco van Dormael : Il était pas libre !
Comment avez-vous réuni tout ce monde là et est-ce que le rôle de Dieu, vous l’aviez écrit en pensant à Benoît Peolvoorde ?
Jaco van Dormael : Au départ, quand j’écris, je ne pense jamais à des comédiens parce que s’ils disent non, je suis coincé. Donc j’essaie d’imaginer des visages flous et une fois qu’un comédien me dit oui, je réécris pour lui, je lui fais un costume sur mesure, en gros. La Belgique est un petit village vous savez, on se connaît bien. J’avais envie de travailler avec des amis, et sur Le Tout Nouveau Testament, il y a beaucoup d’amis avec qui je travaille depuis longtemps, des techniciens, le chef op que je connais depuis qu’il a 18 ans, la maquilleuse avec qui j’ai fait mes premiers courts-métrages, l’ingénieur du son avec qui j’ai fait mon premier court… Y’a des acteurs avec qui je n’avais jamais travaillé mais que je connais depuis longtemps. Benoît Poelvoorde, je le connais depuis C’est arrivé près de chez vous. Ils montaient le film dans la salle de montage à côté de celle où je faisais Mr Nobody. Dès fois, j’allais frapper à leur porte en leur demandant de mettre un peu moins fort. Yolande Moreau, je la connais depuis qu’elle a 20 ans, on était dans le théâtre pour enfants ensemble. Ce sont des gens que je connais depuis longtemps donc, qui viennent du théâtre, du cinéma… Je voulais mettre tous ces amis ensemble, les connus, les pas connus, les français, les francophones et les néerlandophones et faire quelque-chose qui ressemble à un film d’amis et qui ressemble à ce bric-à-brac que Dieu a créé… La seule que je ne connaissais pas, c’était Catherine Deneuve et elle a dit oui tout de suite. J’ai eu beaucoup de chance.
Elle a dit oui tout de suite pour tourner avec un gorille ?
Jaco van Dormael : Ouais, ouais, je crois que c’est ça qui l’intéressait. C’est quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux, elle n’a peur de rien. Elle n’avait aucune réticence sur rien. Je n’avais pas encore déterminé qui allait jouer ce rôle et je l’ai vu dans une émission où elle intervenait pour défendre le mariage pour tous. Elle disait « Écoutez, ça regarde la personne, il n’y a pas de forme d’amour acceptable et d’autres qui ne le sont pas, il y a juste des gens qui s’aiment ». J’ai trouvé qu’elle n’avait pas froid aux yeux de dire ça en tant qu’icône du cinéma français. Et je me suis dit qu’elle serait pas mal en Martine, la femme délaissée qui préfère un gorille, qui finalement est beaucoup plus tendre et protecteur que son mari. Sur le plateau, ça a été quelqu’un de très drôle, avec un sens de l’humour incroyable, qui n’avait peur de rien. Le premier jour, elle avait cette scène d’amour avec un jeune homme et je lui ai dit « Catherine, si vous voulez, vous pouvez garder votre chemisette ou quelque-chose comme ça » et elle m’a répondu « Jaco, je ne fais pas l’amour en chemisette ! » Elle a peur de rien, elle y va à fond et en plus, c’est une très grande comédienne et quelqu’un de très drôle dans la vie.
Pourquoi avoir choisi d’aborder des thèmes importants comme la vie, la mort, la religion, l’enfance… Et quel est votre rapport à l’enfance justement ?
Jaco van Dormael : C’est que c’est un film sur tout alors ! L’enfance… Ici, chacun des personnages a été un enfant et porte en lui l’enfant qu’il a été. Et cet enfant toque à la porte en disant « Eh, n’oublie pas qu’on avait dit que tu n’aurais pas une vie de merde !« . Et plus il grandit, plus l’enfant toque régulièrement. La mort, c’est quelque-chose qu’il est important de rappeler. Qu’on est mortel et que tous les jours, il est important de faire quelque-chose de sa vie car on n’a pas un budget illimité. La seule vraie richesse que l’on a, c’est probablement les minutes qu’on passe ici bas. On aborde tout ça sur le thème de la comédie et c’est assez chouette. C’était très excitant de penser à ce que l’on ferait si l’on connaissait notre date de décès. Il y a ceux qui ne changeraient rien, qui continuerait d’aller au boulot, ceux qui se jetteraient par la fenêtre en se disant « je m’en fous, je meurs pas encore« , ceux qui chercheraient leur amour d’enfance… Finalement, ce que dit Ea, la fille de Dieu, c’est que le paradis, c’est ici et maintenant, y’a rien après, faut pas attendre.
Il y a toujours une grande poésie humaniste et existentialiste dans vos films. Est-ce qu’elle vient au cours de l’écriture ou est-ce que vous prenez appui sur elle, pour ensuite écrire ?
Jaco van Dormael : C’est un peu involontaire en fait, ça vient des personnages, tout simplement.
Dans vos films, vous alternez souvent les genres. Ici, on alterne pure comédie, fantastique, drame, romance, poésie mélancolique… D’où vous vient cette volonté de sans cesse mélanger les genres, comme c’était déjà le cas dans Mr Nobody, qui n’était pas seulement un film de science-fiction ?
Jaco van Dormael : Oui, c’est d’ailleurs emmerdant pour après, car on ne sait pas dans quelle case les mettre. Mais « hors case », c’est une case après tout. Le fait de mélanger les… pas les genres mais plutôt les types de perceptions, ça élargit le champ des perceptions et le champ des possibles, ça permet de sentir les choses différemment. La comédie par exemple, permet de prendre du recul pour parler de choses graves.
C’est vrai que Le Tout Nouveau Testament est un peu pareil. C’est ni un pur film d’auteur, ni une vraie comédie populaire… Il ne rentre nulle part, il navigue entre les lignes.
Jaco van Dormael : Oui, c’est ce qui fait que ces projets sont durs à monter. Mais pas dur à faire !
Il y en a qui restent en tout cas. Mr Nobody est devenu vachement culte avec le temps, finalement.
Jaco van Dormael : Oui, c’est étonnant. Grâce au piratage ! Sans le piratage, personne ne l’aurait vu. Si le film avait été fait 15 ans avant… Après, le film correspondait peut-être à un public plus jeune, avec toute cette arborescence. Nobody ne rentrait dans aucune case. C’était un film en forme de fleur pour un tuyau carré. Ça rentre pas.
En France, le paysage du cinéma est très populaire. Dans la comédie, récemment, on a eu le succès des films comme Les Profs 2, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et tous les petits films ont du mal à se faire. En Belgique, c’est beaucoup plus large. Quel regard portez-vous sur le cinéma belge et le cinéma français.
Jaco van Dormael : Des deux côtés, il y a des cinéastes qui essaient de faire des films. C’est ce qui fait que ça se ressemble. Ce qu’il n’y a pas en Belgique, c’est une industrie. Il n’y a personne qui va dire « Tiens, on a un tuyau, il faut mettre un truc dans le tuyau » puisqu’il n’y a pas de tuyau. Personne n’attend rien. Donc en Belgique, on fait des films qu’on a envie de faire puisqu’il n’y a pas d’industrie. En France, beaucoup de cinéastes font les films qu’ils ont envie de faire aussi, et puis, il y a les films de tuyau.
C’est plus simple de faire des films en Belgique qu’en France ?
Jaco van Dormael : Non, il y a plus d’argent en France.
Et d’un point de vie artistique, vous n’êtes pas plus libre ?
Jaco van Dormael : Je ne sais pas. Moi j’ai commencé à être libre quand j’ai commencé à être mon propre producteur. Le final cut, c’est un accord entre le producteur délégué et le réalisateur. Les américains ou les anglais font comme ça depuis longtemps, ils deviennent producteurs pour avoir le final cut. Ce film là, on a commencé, je ne devais pas être payé, ni en tant que réalisateur, ni en tant que producteur. Il n’y avait pas de frais généraux… J’étais sûr que je ne gagnerai rien. Aucun producteur n’est assez fou pour faire ça. Au pire, je ne gagnais rien, en espérant que ça ne dépasse pas et j’avais seulement le plaisir de faire le film. Et à la moitié du tournage, on a eu de nouveaux financements donc j’ai pu être payé.
C’est assez étonnant en fait, vous faites des films assez ambitieux mais de façon très artisanale en fait…
Jaco van Dormael : Oui, c’est ça. Avec peu d’argent. Enfin, c’est beaucoup d’argent quand il faut aller faire l’emprunt à la banque mais c’est ensuite avec des équipes un peu réduites, avec des moyens un peu bricolés. Bon, ça coûte toujours trop cher. J’aimerai bien faire des films comme un pianiste fait de la musique. A chaque fois qu’il veut jouer, il ne va pas à la banque pour voir s’il peut jouer du piano.
Pour revenir au film, vous avez recours au procédé de la voix off, qui est très importante dans le film. Est-ce que pour vous, c’est une manière de communiquer davantage avec le public car l’on rentre dans le film par elle ?
Jaco van Dormael : J’ai toujours aimé travailler avec les voix off depuis È pericoloso sporgersi qui était un court-métrage de 1982. Dans Toto le Héros, aussi, mais là, c’était plus une voix off qui narrait quelque-chose que l’on ne voyait pas. Il y avait un décalage entre ce que l’on raconte et ce que l’on voit. Ici, j’ai travaillé avec Thomas Gunzig qui est un écrivain-romancier, et il est très fort pour écrire des voix off très littéraires. Et je trouvais ça intéressant d’avoir des gens qui, parfois, se tournent vers la caméra et racontent au spectateur des choses les yeux dans les yeux.
Le film dégage quelque-chose de très optimiste sur la vie. Est-ce que vous êtes vous-même quelqu’un d’optimiste ?
Jaco van Dormael : J’ai plutôt l’impression, ouais. Enfin, tant que je suis vivant ! Je sais que ça va finir mal mais avant la fin, je crois qu’il y a moyen de s’amuser quand même…
Comment avez-vous choisi la « playlist » du film, toutes ces musiques intérieures propres à chaque personnage ? Vous avez demandé leur avis aux comédiens ?
Jaco van Dormael : C’est souvent de l’opéra, du baroque, de la chanson française des années 40… J’avais envie que la musique intérieure soit plus large que ce que l’on voit de l’extérieur des personnages. Qu’on voit un petit bonhomme dans une caravane par exemple et qu’on se dise « Bof, c’est quoi son intérieur ? Ca ne doit pas être grand… » Et quand vous entrez, c’est du baroque. Et vous vous dites alors « à l’intérieur de lui, ce mec est grand, ce mec est magnifique ». Puis tu sors et c’est toujours un petit bonhomme dans une caravane.
Est-ce que vous avez réfléchi à quelle serait votre musique intérieure à vous, justement ?
Jaco van Dormael : Non, pas vraiment. Du Johnny Mitchell probablement.
Est-ce que votre expérience au théâtre vous a servi dans le film ? Il y a quelque-chose de récurrent dans votre cinéma, c’est l’utilisation des décors pour faire ressortir des éléments.
Jaco van Dormael : C’est la même personne qui a fait les décors sur Mr Nobody, sur ma pièce Kiss and Cry et sur Le Tout Nouveau Testament. C’est une collaboration sur le long terme, qui va vers de plus en plus de simplification. Ici, on s’est rendu compte très vite qu’on n’avait pas d’argent pour construire des décors. Alors on est allés vers des décors naturels qu’on vidait. On vidait pour que ce soit dépouillé, pour aller vers une forme de théâtralité. Ça résonnait un peu avec l’idée que la vie des gens était vide, aussi. Après, l’éclairage et la manière de positionner la caméra aident aussi à donner cette impression de théâtralité.
Quelles étaient vos influences artistiques pour ce film ?
Jaco van Dormael : J’ai toujours l’impression qu’il y en a pas et c’est après qu’on en découvre. Il y a une citation de Tarkovski. « Le ver qui bouge sur la table… », c’est une citation. Après, il y a des histoires qu’on m’a racontées. Par exemple, le directeur du Théâtre 140 à Bruxelles, qui m’avait raconté qu’un chanteur canadien était venu avec sa guenon. Ils étaient en couple et c’était assez difficile car les hôtels n’acceptaient pas forcément… Et la guenon était très jalouse, il n’y avait que les hommes qui pouvaient s’approcher, elle attaquait les femmes. Voilà, des histoires comme ça. Les influences… C’est assez difficile à dire, surtout quand on essaie de faire quelque-chose qui ressemble à rien de connu.
Il y en a peut-être qui sont inconscientes, aussi.
Jaco van Dormael : Oh sûrement, plein même.
Après le tournage, il y a eu l’accueil chaleureux à Cannes. Comment vous l’avez vécu ?
Jaco van Dormael : C’était chouette ! Il y a des années comme ça où vous avez le vent de face, sous la pluie. Et puis soudain, le vent de dos, le soleil, ça avance tout seul. C’était super que le public le reçoive si bien. Pour moi, un film, c’est une bouteille que je jette à la mer et je ne sais pas si les gens vont aimer ou pas. Je crois toujours que oui et ça arrive que non. En plus, Cannes, c’est un amplificateur dans les deux sens. Ca peut être la corrida où on assiste à la mise à mort ou ça peut être l’inverse. On élève des cinéastes qu’on couronne… pour leur couper la tête l’année d’après ! A la Quinzaine des Réalisateurs, c’est chouette car les films ne sont pas comparés vu qu’il n’y a pas de prix. On regarde les films les uns après les autres, ce qu’on aime, ce qu’on aime pas. Mais y’a pas besoin de dire que ce film est meilleur que celui-là etc… Mais ça n’existe qu’à Cannes ce genre de truc. C’est un peu comme deux restaurants. Il y en a un qui est plein, l’autre vide, et tout le monde va dans celui qui est plein alors que si ça se trouve, l’autre est tout aussi bon. C’est comme dans Mr Nobody, c’est l’effet papillon. Après, la carrière d’un cinéaste, c’est souvent « Tu es à la mode, puis has been, puis à la mode, puis has been etc… » Comme les marées, ça va ça vient. Le plaisir, c’est de faire les films qu’on a envie de faire et voilà.
BANDE-ANNONCE :
Merci à Jaco van Dormael, Le Pacte et WaytoBlue.
Table ronde à plusieurs blogs
Propos recueillis par Nicolas Rieux