Les sélections parallèles du dernier festival de Cannes ont su marquer les esprits des festivaliers, notamment celle d’Un Certain Regard qui a affiché un niveau artistique très élevé avec plusieurs films marquants tels que pêle-mêle When The Light Breaks, L’histoire de Souleymane, Le Royaume, Flow le chat qui n’avait plus peur de l’eau ou La Convocation du petit-fils d’Ingmar Bergman. Et au milieu de ces bijoux virtuoses, le singulier Les Damnés, nouveau long-métrage de l’italien Roberto Minervini, un habitué de Cannes où il avait déjà présenté Le Cœur Battant et The Other Side.
Avec Les Damnés (rien à voir avec Visconti), Minervini nous plonge en pleine Guerre de Sécession américaine. A la croisée du film historique, du drame de guerre et du western existentiel, Les Damnés s’offre comme une œuvre puissante mais réservée à un public d’initiés. Lent, pour ne pas dire très contemplatif, Les Damnés est un voyage envoûtant en compagnie d’un groupe d’hommes qui s’interrogent sur le sens de leur mission alors qu’ils avancent péniblement dans des contrées sauvages qu’ils explorent en cet hiver glacial de 1962. Au fur et à mesure qu’ils progressent dans ce grand Ouest encore méconnu, des dilemmes moraux mettent à l’épreuve leur foi et leurs croyances.

Porté par une mise en scène intimiste épousant une direction artistique sublime, Les Damnés séduit d’abord par son étrange intensité esthétique mélangeant minimalisme extrême et formalisme fulgurant. Deux notions souvent antinomiques au cinéma mais que Minervini associe pour transfigurer son œuvre à la fois radicale et obsédante. Niché dans cet écrin surprenant en faisant un ofni esthétiquement déstabilisant, Les Damnés va alors développer un regard profond et pénétrant sur ces âmes qui s’adonnent à l’introspection dans ces décors majestueux où les tourments humains ne peuvent plus se cacher. L’ennui de l’attente, l’impression d’errer sans but tangible, l’absurdité de la guerre, le poids des ordres, la foi en une cause, la solitude de l’enrôlé… Les Damnés détaille la psyché du soldat avec une authenticité que n’oserait aucun film par peur de rompre la dramaturgie codifiée du cinéma. Les Damnés ose adopter un ton proche du documentaire naturaliste, Minervini filme en gros plans des visages auxquels on ne s’attache pas vraiment car au final, ce qu’ils représentent est plus important qu’eux-mêmes. Il filme des échanges qui s’éternisent comme la guerre, il filme des marches harassantes et répétitives. Il filme des paysages fabuleux dont la quiétude sera troublée par l’irruption de la folie des hommes. Car si le film adopte un rythme très monotone en prise avec son sujet, Minervini saura secouer le spectateur avec parcimonie, en témoigne un long accrochage entre camps ennemis filmé avec un profond sens de l’immersion. Le morceau de bravoure du film pour ceux qui le jugeront ennuyeux et dénué d’action.

Si l’on peut être séduit par son formalisme somptueux, étonné par son audace ou passionné par son portrait quasi philosophique, reste que
Les Damnés accepte d’être un film mal-aimable. Mais de cet état de fait, il peine à créer le vertige en raison de son approche ultra-théorique qui le rend à la fois exigeant mais aussi quelque peu hermétique. Ou peut-être est-ce en raison de son absence d’enjeux concrets, ce dont on n’a plus forcément l’habitude. Dans tous les cas, de cette œuvre clivante que n’aurait pas renié un Terrence Malick, reste des images, des interrogations et une sincère curiosité. C’est déjà plus que bien des productions, certes plus distrayantes, mais aussi plus fades et totalement désincarnées.