Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Made in France
Père : Nicolas Boukhrief
Date de naissance : 2015
Majorité : 29 janvier 2016
Type : Sortie VOD
Nationalité : France
Taille : 1h34 / Poids : 25 M$
Genre : Thriller
Livret de famille : Malik Zidi (Sam), Dimitri Storoge (Hassan), François Civil (Christophe), Nassim Si Ahmed (Driss), Ahmed Dramé (Sidi), Franck Gastambide (Dubreuil), Judith Davis (Laure), Nailia Harzoune (Zora)…
Signes particuliers : Courageux, Nicolas Boukhrief s’attaque à un sujet difficile et signe un film important. Un sujet tragiquement prophétique puisque le film devait sortir au cinéma en novembre dernier, sortie annulée suite aux dramatiques attentats parisiens du 13 novembre 2015. Cette critique est celle (non retouchée) que nous en avions fait à l’époque.
PLONGÉE DANS UNE CELLULE DJIHADISTE
LA CRITIQUE
Résumé : Sam, journaliste indépendant, profite de sa culture musulmane pour infiltrer les milieux intégristes de la banlieue parisienne. Il se rapproche d’un groupe de quatre jeunes qui ont reçu pour mission de créer une cellule djihadiste et semer le chaos au cœur de Paris.L’INTRO :
Nicolas Boukhrief fait partie de ces quelques réalisateurs français qui ont pour eux, de tenter des choses, d’oser, de prendre des risques. De cette audace bouillonnante, sortent parfois des films moyens ou médiocres malgré leurs ambitions (Gardiens de l’ordre, Cortex) mais aussi parfois des réussites marquantes, comme Le Convoyeur avec Albert Dupontel, peut-être sa plus grande réussite à ce jour. En 1995, le cinéaste tombe à la télévision sur la cavale du terroriste Khaled Kelkal, derrière la vague d’attentats estivale qui vient tout juste d’ensanglanter Paris. L’homme est tué par la police près de Lyon. Boukhrief se posera alors la question de savoir qui était ce jeune homme ? Comment en est-il arrivé là ? A quel moment l’échec de son intégration dans la société française a vrillé ? Mais le cinéaste préfèrera attendre, plus de 15 ans, pour avoir le recul et la maturité cinématographique nécessaire à une telle entreprise périlleuse. Car le danger assourdissant d’attentats en France semble être un tabou que le cinéma évite, peut-être par respect pour les victimes de ces tragédies, peut-être parce que le sujet est trop grave, peut-être parce qu’il est trop sensible. Contrairement au cinéma américain qui aime exorciser la chose avec quantité de fictions engagées ou de divertissement, l’industrie française fait profil bas et rares sont les œuvres ayant approché le sujet, la meilleure restant le puissant L’Union Sacrée d’Arcady, en 1989.L’AVIS :
Avec Made in France, Nicolas Boukhrief s’attache à l’histoire d’un journaliste qui infiltre une cellule djihadiste souhaitant opérer en France. L’occasion pour le cinéaste, non pas de fomenter un acte anti-musulman, anti-Islam ou anti-quoique ce soit d’ailleurs, mais de s’intéresser aux différents visages du djihadisme, ou plutôt de ces hommes qui s’y adonnent, en essayant de comprendre leurs parcours, leurs motivations, leur état d’esprit, tout ce qui a pu les amener à sombrer dans cet échec de la radicalisation. Le sujet est d’autant plus brûlant, que le film s’apprête à sortir en cette année 2015 marquée par les terribles attentats commis à Paris en janvier dernier. Mais refusant l’attaque virulente, la propagande, la provocation ou la complaisance, pas plus qu’il n’entend asséner des vérités définitives, Made in France s’impose juste comme une œuvre pertinente, d’actualité, une œuvre choc à la fois passionnante, réfléchie et mature. La maturité, exactement ce qu’attendait Boukhrief pour toucher du doigt, ce sujet si épineux qui lui tenait à cœur depuis si longtemps, lui l’homme aux deux visages et aux deux cultures, né d’un père algérien et d’une mère française.En s’appliquant à décrypter les mécanismes du djihadisme, c’est avant tout sur ses acteurs que le cinéaste se focalise, le fanatique aveuglé par « sa cause », le faible qui au fond n’aspire qu’à appartenir à quelque-chose sans vraiment comprendre les enjeux, le timide effacé tombé sous la coupe d’un manipulateur charismatique, celui qui a juste envie d’action et qui choisit mal la cible de sa colère intérieure… L’intelligence et le courage de Nicolas Boukhrief est sans aucun doute de ne pas se contenter d’un acte manichéen enragé mais de s’efforcer de comprendre, d’étudier, d’analyser, dans une démarche à la fois pleine de recul et de profondeur. Une démarche surtout placée sous un refus du jugement facile, ce qui permet d’en décupler l’impact, la pertinence et l’importance dans le contexte suffocant que l’on connaît actuellement. Made in France n’est pas un thriller m’as-tu-vu jouant avec son sujet selon des intentions nauséabondes mais bel et bien un drame suivant consciencieusement sa portée glaçante de véracité et sans cesse tenue par une démarche brillante, aussi bien dans ses aspirations que dans sa retranscription méthodique et informée. Tout en s’enveloppant dans le polar percutant, Boukhrief descend tout en bas de l’échelle et quitte les sentiers trop faciles de la peinture d’une cellule ultra-organisée. L’occasion pour le metteur en scène, de mieux s’immerger dans son véritable sujet, d’ouvrir une fenêtre sur ces paumés qui gravitent en bas de l’échelle, devenus les victimes d’un endoctrinement redoutablement bien rodé, qu’ils soient des jeunes de banlieues en difficultés ou des bretons fils à papa.Soutenu par une tension sourde à la limite de l’irrespirable, Made in France est peut-être le film dont on avait besoin en cet instant précis. Un film qui ne milite pour rien d’autre que la paix et le respect, un film qui n’invective pas, qui n’incite pas à la rage ou à la colère. Un film seulement nourri par sa logique de constat sur un système terrifiant, où de jeunes proies en mal de repères, se font tragiquement récupérer par méconnaissance, par instrumentalisation, par aveuglement. Boukhrief aurait pu aller encore plus loin dans la noirceur. Bien que Made in France ait été tourné avant les récents attentats qui ont endeuillé la France (et écrit entre 2011 et 2013), le film est peut-être, par moments, un peu freiné par sa peur d’aller trop loin dans l’impact. Mais malgré quelques micro-facilités ou petits illogismes qui ne gêneront que les plus perfectionnistes, Made in France peint un portrait horrifiant avec force, poigne et sagacité, mettant son histoire en perspective avec brio. Un uppercut nerveux et frontal qui tisse sa toile avec discernement.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux