Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Le Cousin Jules
Père : Dominique Benicheti
Date de naissance : 1968-73
Majorité : 21 octobre 2015
Type : Sortie vidéo
Nationalité : France
Taille : 1h30 / Poids : NC
Genre : Documentaire
Livret de famille : Jules Guitteaux, Félicie Guitteaux…
Signes particuliers : Un documentaire témoin d’une époque, d’une France, d’un mode de vie.
LE DOUX ÉCOULEMENT DE LA VIE…
LA CRITIQUE
Résumé : Dans la campagne bourguignonne, vit un couple d’octogénaires. Jules est forgeron et passe ses journées à créer des objets en fer. Sa femme, Félicie, s’occupe du potager, prépare leurs repas et partage avec lui le café du matin dans la forge. La simplicité de leur routine quotidienne nous immisce dans l’intimité d’une relation de toute une vie…L’INTRO :
Au cours des années 60, le jeune Dominique Benicheti était un pensionnaire de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques. C’est à ce moment que cet étudiant émérite voit naître en lui l’envie de filmer le travail fascinant d’un maréchal-ferrant. Quand il se lança dans son projet en 1968, ses intentions avaient évoluées. Désormais, sa volonté était de s’adonner à un défi fou pour l’époque, réaliser un documentaire avec des techniques hautement cinématographiques et exigeantes. Le Cousin Jules sera tourné en Cinémascope 35 mm, avec un son stéréo magnétique couché à même la pellicule, avec des travellings, la photographie fera l’objet d’un travail extrêmement soigné par deux chef op qui se relaieront, puisque les prises de vues s’étaleront sur cinq années. L’effort était ambitieux, trop peut-être pour un documentaire qui, de fait, ne parviendra pas à exister en salles, les techniques employées ne s’avérant pas compatibles avec les technologies qui équipaient alors les salles obscures de l’époque susceptibles d’accueillir un film destiné à un public très spécifique (en somme, les salles Arts et Essais). Primé au festival de Locarno qui lui décernera un Prix Spécial du Jury, Le Cousin Jules restera longtemps comme un chef-d’œuvre artistique de l’ombre, un film au mieux méconnu, au pire inconnu, dont l’audace lui aura été fatale. En 2011, un travail de restauration colossal est entrepris pour faire revivre cette œuvre oubliée qui pouvait préfigurer certains efforts à venir de Raymond Depardon. Le Cousin Jules renaît, ré-existe aujourd’hui, plus de 40 ans après sa confection compliquée.L’AVIS :
Œuvre aussi brillante qu’étrange et différente, Le Cousin Jules est à la frontière du documentaire et du film de cinéma. Le premier, car il peint le portrait non seulement d’un couple à l’aune de sa vie mais il capte dans le même temps, une époque à son crépuscule. Cette époque, celle d’une France rurale d’antan, Benicheti s’en fait le témoin sous l’œil de sa caméra. Il la chronique à travers un mélange de distance et d’immersion, s’approchant des moindres détails autant qu’il ne laisse vivre ses personnages authentiques. Mais Le Cousin Jules s’impose aussi comme un grand film de cinéma, dont la narration ne repose sur aucun scénario autre que celui de la vie qui s’écoule dans sa plus extrême pureté. Rarement le terme d’œuvre contemplative n’aura été aussi pertinent. Car c’est que fait Benicheti, il contemple. Et de l’œil observateur de sa caméra, naîtra un tableau qui épousera parfaitement les contours d’une aventure humaine vraie, sincère, magistrale. Le Cousin Jules ne présente pas de péripéties, il n’a aucun rythme, aucune direction d’écriture, aucun sens du montage, du discours social ou poétique, ou de la mise en scène à proprement parler. Car Le Cousin Jules ne truque rien, il montre. Il se contente de saisir ces moments hors du cinéma, hors de la diégèse, seulement ancrés dans leur temps propre à eux, celui de la vie de ce couple qui se lève aux aurores, qui déjeune, qui s’affaire à leurs travaux quotidiens respectifs, qui dîne, soupe, lit le journal, prend le café, parle peu mais utile. Le Cousin Jules fait dans « l’épure la plus pure ». La pudeur règne en maître-mot, certains rebondissements tragiques de la vie pointant le bout de leur nez alors que Benicheti les place dans son portrait avec une grâce aussi magnifique que tendre.Œuvre précieuse et délicate, Le Cousin Jules n’est pas à mettre entre toutes les mains, celles des impatients par exemple. De longs plans contemplatifs sur une casserole où cuit le souper, sur ce couple aimant assis à partager une collation, sur ce marteau qui frappe le fer, sur cet homme ou cette femme dans leur univers… Et quand le cadre se met en mouvement, quittant la force du plan fixe, c’est pour épouser le rythme de cette vie emblématique de ces contrées régie par ses codes propres. Certains y verront du « rien » couché sur pellicule. Et c’est vrai, Le Cousin Jules ne « raconte » rien. Il se fait juste le témoin d’une certaine vie, avec beauté ou mélancolie, c’est selon. Et s’il devait « raconter » quelque-chose au sens premier du terme, ce serait juste la banale intimité de deux vieillards de la campagne bourguignonne dans les années 70, reflet de la vie de nombreux vieillards de cette France d’avant, où seul l’essentiel était important. Entre la balade et le poème flottant en apesanteur, Le Cousin Jules fascine et tirerait presque quelques larmes par la splendeur de son pouvoir de véracité.
LE TEST BLU-RAY
Évoquer la beauté formelle d’une édition émanant de l’éditeur Carlotta serait presque une lapalissade. Car c’est désormais une habitude, quand Carlotta chérit et offre une œuvre portée par des intentions hautement cinéphiles, le travail n’est jamais mal fait. Existant aujourd’hui dans une nouvelle version restaurée en 2k, Le Cousin Jules présente son plus beau visage. L’édition Blu-ray (et en plus Carlotta est audacieux) rend justice au travail esthétique de Dominique Benicheti avec une image fabuleuse, fidèle au grain cinématographique, fidèle à la beauté de la photographie, fidèle à la pureté sonore…Et comme d’habitude, le film n’est jamais proposé seul. Car l’important est de saisir son importance. Pour cela, nombreux sont les suppléments qui agrémentent les éditions Blu-ray comme DVD. Ils sont communs au deux versions mais au vu de la qualité de la restauration, le Blu-ray est quasi-indispensable pour savourer au mieux l’œuvre en présence. Les suppléments s’ouvrent avec Le Temps Scellé, une conversation exclusive d’environ 20 minutes avec l’un des deux directeurs de la photographie du film, Pierre-William Glenn (l’autre ayant été Paul Launay). Le chef opérateur de renom (qui a bossé sur le sublime La Nuit Américaine de Truffaut) revient sur son travail avec Benicheti et sur le tournage du film. Un module d’environ 11 minutes détaille ensuite le travail de restauration en l’associant à une interview du documentariste-cinéaste. Alors que Benicheti expose les particularités techniques de son film (interview de 2008), A L’origine d’une restauration permet de saisir comment a été abordé le processus pour conserver les spécificités formelles de l’œuvre. Le meilleur (tant est si bien que l’on puisse parler de meilleur) seront peut-être les rushes et les images d’archives du tournage (11 min.) proposées ensuite. Le Cousin Jules montrait une réalité devant la caméra et dans un effet d’hyper-authenticité, ces images précieuses montre cette réalité replacée dans la réalité du tournage lui-même. Magnifique. La bande-annonce version 2015 complète ses suppléments d’une qualité remarquable.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux