Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Byzantium
Père : Neil Jordan
Livret de famille : Saoirse Ronan (Eleanor), Gemma Arterton (Clara), Caleb Landry Jones (Frank), Sam Riley (Darvell), Thure Lindhardt (Werner), Barry Cassin (Robert), Gabriela Marcinkova (Anya)…
Date de naissance : 2012
Majorité au : inconnue
Nationalité : Angleterre, USA, Irlande
Taille : 2h03
Poids : 8 millions £
Signes particuliers (+) : Byzantium marche à côté des traces de la production traditionnelle dédiée au genre. Une élégante et soignée immersion dans le quotidien d’une mère et sa fille vampire, unies par leur amour filial et dans le même temps opposées par leur idéaux antagonistes. Singulier, le film entremêle drame intimiste et fantastique baroque, avec une pointe de point de vue social et philosophique sur le décalage entre ces êtres, leurs corps et le monde.
Signes particuliers (-) : A trop insister sur l’atmosphère lancinante qu’il tente d’insuffler à son film pour souligner le fardeau du temps qui passe, Neil Jordan finit par passer à côté de l’émotion et son Byzantium manque de puissance. C’est beau, mais c’est aussi très longuet.
LES SANS-ÂMES VAGABONDES
Résumé : Dans une petite ville côtière, deux jeunes femmes aussi séduisantes que mystérieuses débarquent de nulle part. Clara fait la connaissance de Noel, un solitaire, qui les recueille dans sa pension de famille déserte, le Byzantium. Eleanor, étudiante, rencontre Frank, en qui elle voit une âme sœur. Bientôt, elle lui révèle leur sombre secret… Eleanor et Clara sont nées voilà plus de deux siècles et survivent en se nourrissant de sang humain. Trop de gens vont finir par l’apprendre pour que leur passage dans la ville n’ait aucune conséquence sanglante…
Avec Byzantium qui vient d’être présenté au PIFFF 2013, Neil Jordan remonte le temps et retrouve un univers qu’il a abordé il y a de cela près de 20 ans : le film de vampire. En 1994, le cinéaste irlandais signait le désormais culte Entretien avec un Vampire, superbe fresque mélancolico-baroque au casting cinq étoiles. Aujourd’hui, c’est avec un plus petit budget que le cinéaste arpente le genre avec une œuvre cette fois-ci plus intimiste, centrée autour des tourments d’un duo de personnages féminins, une mère et sa fille vampires en cavale dans un monde qui ne semble pas avoir de place pour elles. La première (magnifique Gemma Arterton) assume et compose avec sa condition et l’exploite pour survivre dans cette société avec laquelle elle est en décalage, la seconde (la jeune Saoirse Ronan) la vit comme une damnation et un enfer quotidien alors qu’elle ne peut s’ancrer au temps qui s’écoule, avec un véritable besoin intérieur d’exorciser ce tourment qui la ronge viscéralement. Entre errements perpétuels, conflits idéologiques, amour maternel et répulsion filiale ou cheminements personnels de marginaux, ce tandem nous plonge dans une réflexion passionnante sur le mythe du vampire au travers d’une odyssée crépusculaire très largement esthétisée qui s’enveloppe dans une approche plus adulte et réaliste du registre, même si l’on va quand même retrouver certaines thématiques qui vont s’inscrire dans la continuité du travail déjà entrepris par le cinéaste vis-à-vis du genre, il y a vingt ans.
Sur la base d’une pièce de théâtre écrite par Moira Buffini (Tamara Drewe) qui s’est chargée elle-même de sa transposition en scénario de cinéma, Byzantium est une œuvre à certains égards déroutante. Souvent fascinante voire enivrante par sa beauté ténébreuse et onirique, profondément sombre et viscérale pour sa façon de dépeindre des personnages chacun torturé à leur manière, émotionnellement très mélancolique (en cela proche de Entretien avec un Vampire) véritablement splendide par son approche esthétique très travaillée (notamment dans sa photographie), mais aussi étrange, autant pour sa construction singulière naviguant entre le drame froid et le film en costume, que pour son rythme lancinant et sa façon de tordre le cou aux codes de la mythologie pour s’immerger dans un récit plus « humain », délesté des clichés dogmatiquement imposés dès qu’il s’agit d’approcher la question du vampirisme.
Résumer Byzantium à des notions superficielles de « bon ou mauvais film » de genre serait une erreur coupable. La dernière œuvre de Neil Jordan est autre chose, pas loin d’un OFNI fantastique même si le film garde globalement une facture classique. Un film poétique, introspectif, parfois même philosophique, plus proche du drame sur la question de la condition de ces êtres marginaux que de la véritable série B horrifique spectaculaire. Le metteur en scène essaie de proposer autre chose, une alternative aux exercices traditionnels, avec une immersion lente et posée qui vient se poser en contrepied de ce qui se fait aujourd’hui sur le vampirisme et revêtissant un quelque-chose de social troublant dans la démarche. Œuvre résolument fantastique, Byzantium parvient à ne pas être que cela, bien au contraire, essayant de conjuguer plusieurs approches et plusieurs visions de son sujet. Même si elle déstabilise par sa singularité qui va chercher davantage du côté d’un Near Dark de Bigelow que du côté d’une production classique spectaculaire, on retrouve néanmoins dans ce dernier exercice tout le cinéma de Neil Jordan, marqué par un pouvoir de fascination visuelle (son dernier Ondine était imprégné du même style), par cette manière qu’il a de traiter de personnages en décalage physique et idéologique avec leur corps (une enfant coincée dans une enveloppe centenaire) et leur condition non-assumée, par une forme d’étrangeté ambiante et une profonde tristesse de l’ensemble. Ce qui pourra le plus dérouter, c’est en revanche la construction éclatée sur plusieurs temporalités, multipliant les allers et retours dans le passé et le présent pour à la fois expliciter le passif de ses personnages et dessiner leur trajectoire dramatique, mais aussi pour dynamiser un récit en l’extrayant d’une linéarité temporelle qui aurait pu lui être fatale (ce qu’il avait déjà plus ou moins fait sur Entretien avec un Vampire mais qui est davantage poussé ici). Une bonne et une mauvaise chose dans cette navigation narrative n’est pas toujours adroite, participant à alourdir un film qui par moments stagne et finit par s’étaler sur une durée de plus de deux heures, là où on lui aurait bien vu une demi-heure en moins pour parvenir à davantage d’efficacité tant de la forme que dans le fond, d’autant plus que d’autres choses auraient pu être privilégiées à cette tentative d’ouvrir le film à une odyssée dramatiquement ample malgré son minimalisme.
Avec Byzantium, Jordan a voulu tenter quelque-chose de très ambitieux. Et le cinéaste y parvient. Pas toujours au mieux mais il a le mérite d’accoucher d’une œuvre originale, empreinte de caractère et d’une véritable vision sur le mythe, sur la place des vampires dans la société actuelle traitée de manière sociale et intimiste (à l’opposé d’un Blade), sur les tourments qui les opposent à leur éternité parfois perçue comme un fardeau lourd à porter, sur la nécessité de survivre aussi, dans un monde qui est le leur sans l’être… Si la caractérisation de son duo de personnages aurait pu être davantage fouillée, notamment dans l’ambiguïté de la relation filiale qui les unit tout en les opposant, Byzantium reste un effort louable, qui marque avant tout pour sa beauté formelle même si parfois, Jordan se laisse un peu emporter par ses velléités de symbolique poussée. Byzantium est imparfait, globalement trop long, par petites touches emprunté voire bancal même, mais il en reste une véritable œuvre d’un cinéaste qui se réapproprie un mythe archi-rebattu pour trouver un sentier encore un peu sauvage questionnant la condition des noctambules en parlant de déracinement moral et physiologique, de secret protecteur et de besoin de partage libérateur. Certes difficile mais superbe, quelque part entre l’envoûtement captivant et le répulsif avant que l’angoisse émotionnelle conquiert.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux