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BROKEN (critique)

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Carte d’identité :
Nom : Broken
Parents : Rufus Norris
Livret de famille : Eloïse Laurence (Skunk), Tim Roth (Archie), Cillian Murphy (Mike), Bill Milner (Jed), Rory Kinnear (Mr Oswald), Lino Facioli (Stephen), Robert Emms (Rick), Seeta Indrani (Kasia), Zana Marjanovic…
Date de naissance : 2011
Nationalité : Angleterre
Taille/Poids : 1h30 – 5 millions €

Signes particuliers (+) : Une jeune comédienne épatante. Un joli petit film touchant et attachant.

Signes particuliers (-) : Des facilités et un ton qui semble se chercher dans une construction pas toujours adroite.

 

PLACE MÉLI-MÉLO

Résumé : Skunk habite avec son père dans un petit quartier habituellement tranquille. Quand elle est témoin d’une agression violente d’un voisin attardé par un autre, sa vision innocente de la vie change…

Remarqué lors de son passage à Cannes, en ouverture de la Semaine de la Critique 2012, le britannique Broken, premier film du jeune cinéaste Rufus Norris, débarque avec l’image d’un petit film indépendant dramatique bouleversant mêlant le social à l’anglaise et une certaine joie transmissible qui se dégage du drame, un peu comme dans le cinéma du voisin Ken Loach. Impression confirmée même si le film sera finalement bien plus dramatique que prévu. Avec une pléiade de jeunes comédiens débutants incroyablement doués et deux acteurs confirmés (Tim Roth et Cillian Murphy), cautions « starifiques » ouvrant quelques portes en termes de visibilité à ce petit budget touchant, Broken est l’une des sensations du moment, un de ces films qui nous attirent sans que l’on sache trop pourquoi avec l’impression quasi-assurée que l’on va aimer…

Impression rapidement confirmée même si, comme la plupart des premières œuvres, Broken compte pas mal d’imperfections. Norris adapte le romancier Daniel Clay et son bouquin éponyme paru en 2008 avec ce petit film centré sur la vie de trois maisonnées bordant une micro-place, issue terminale d’une impasse. Ce lieu de vie restreint et isolé, est à lui seul un microcosme représentatif d’une société dans laquelle les humains nouent des relations d’amour comme de haine, d’amitié comme de jalousie ou de colère. Les histoires auront leurs propres vies parallèles mais il arrive, parfois, qu’elles dévient de leurs courbes respectives, qu’elles se recoupent, qu’elles s’entrecroisent, qu’elles s’entrechoquent, qu’elles s’emmêlent autour d’un même point, d’un même but… Sur le thème central de la perte de l’innocence, Rufus Norris croisent les vies de trois familles dont les histoires se rejoignent, s’éloignent puis se rejoignent à nouveau. Il y a d’un côté la famille de la petite Emily Cuningham, surnommée Skunk, vivant avec son ado de frère, son père protecteur et sa nourrice Katya qui s’occupent d’eux à plein temps. Skunk regarde sa vie familiale, celle de son quartier, de son école, ne comprend pas vraiment l’âge adulte mais sent qu’elle est à un tournant de sa vie, qu’elle grandit, avec les drames qui ont façonné sa personnalités attendrissante entre l’abandon par sa mère partie vivre avec un comptable et son diabète de type un l’obligeant à des rituels lourds mais cruciaux. Autour d’elle, il y a les Buckley, famille devant gérer un jeune adulte attardé, gentil mais troublé sur le plan psychologique. Enfin, il y a les Oswald, un père veuf élevant dans un sur-protectionnisme dangereux ses trois filles, terreurs cruelles et instables. Et dans ce maelström dramatique, chaque famille doit gérer cette perte de l’innocence. Pour Skunk, c’est l’adolescence qui se profile à l’horizon et le choc brutal de la rencontre avec l’horreur de l’âge adulte après avoir été témoin d’une brutale agression. Pour son frère, c’est l’adolescence même avec les premières expériences qu’elle réclame. Pour les Buckley, c’est le vacillement psychologique de leur angélique fils, un attardé jusque-là inoffensif. Pour les Oswald, c’est la pente glissante sur laquelle se sont engagées ses trois filles, pestes notoires déclencheuses de problèmes.

Broken accumule les drames et les tragédies à la manière d’un Precious mais évite l’écueil du misérabilisme qui anéantissait la tentative du film américain de Lee Daniels en le faisant basculer dans le ridicule outrancier. Avec beaucoup de grâce et une légèreté se mariant idylliquement à une vraie tristesse profonde, Broken est à la fois une tragédie multiple et pourtant une œuvre extrêmement lumineuse de laquelle se dégage beaucoup de vie, de joie, d’espoir, sans jamais que le fatalisme pesant ne prédomine. On pourra y voir beaucoup de facilité mais pourtant, Norris parvient à bien jongler avec ses récits croisés ne choisissant pas vraiment un point de vue dominant même si Skunk semble être au centre de tout, elle qui observe autour d’elle. La jeune fille est une sorte de fil conducteur mais sort régulièrement du récit, le film passant de l’un à l’autre avec une mise en scène délicate superposant les sons, les images, les musiques de sorte à traduire cet enchevêtrement permanent de ses trois récits principaux auxquels s’ajoutent encore quelques sous-histoires (comme la relation amoureuse mouvementée entre Katya et son conjoint Mike –un bon Cillian Murphy- ayant des troubles d’engagement) formant un tout assez homogène.

Chacune de ses familles est un cocon, chacune cherche par tous les moyens de préserver les siens devant les problèmes de la vie, devant cette innocence qui prend fin. Le protectionnisme familial, maternel comme paternel, est lui aussi au centre du film de Norris. Archie (Tim Roth), le père de Skunk, essaie de répondre présent pour deux envers ses enfants, lui qui doit combler le vide laissé par une mère un peu légère qui a pris la poudre d’escampette. Pour Mr Oswald, la donne est à peu près la même. L’absence de mère l’a amené à couver à l’excès ses trois poupées qu’il essaie de préserver de tout sans discernement. Pour les Buckley, la condition mentale de leur fils impose cet état de protectionnisme, le jeune rick ne pouvant le faire pour lui-même.

Sur ces deux thématiques majeures, Rufus Norris brode un joli drame initiatique, certes parfois un peu confus, manquant d’un point de vue clair à force de multiplier les intrigues et les sous-intrigues de façon balbutiante entre le scolaire et la réalisation arty à l’anglaise fourmillant d’idées (comme les sauts temporels sur des séquences surprenantes sur lesquelles on revient ensuite en flashbacks immédiats explicatifs), mais qui n’en est pas moins fascinant voire envoûtant. On baigne dans une atmosphère tragi-comique sur les émois de l’adolescence, où chacune des maisons symbolise une façon de voir les choses, d’éduquer, d’aimer, sorte de représentation du « plus », du « moins » et du « juste milieu ». Avec sensibilité et tendresse, le cinéaste porte un joli regard sur le film de société à l’anglaise, loin du style d’un Ken Loach par une mise en scène plus lyrique, moins ancrée dans le réalisme et davantage portée par des effets cinégéniques. Le pessimisme côtoie la joie de la même manière que la lumière côtoie les ténèbres dans un film à la fois un peu trop démonstratif, souvent pop-moderne, mais finalement agréable par sa délicatesse. La tentative est imparfaite, parfois un peu grandiloquente, parfois un peu artificielle, mais la sensation légère de prétention de l’exercice réussit heureusement à s’effacer derrière un film illuminé par sa tendresse et surtout par son casting magistral, aussi bien dans les premiers que les seconds ou troisièmes rôles, de l’exceptionnelle jeunette Eloïse Laurence (Skunk) à un très juste Tim Roth, d’un formidable Roberts Emms (Rick Buckley) à un sobre Cillian Murphy, d’un impeccable Bill Milner (Jed Cuningham) à un magnifique Rory Kinnear (le violent père Oswald défendant ses filles coûte que coûte) en passant par Zana Marjanovic (la nounou Katya), Clara Burt (bluffante mère Buckley que l’amour pour son fils handicapé rend folle) ou encore le jeune George Sargeant (le premier petit-ami de Skunk).

Lourdement dramatique, Broken n’est pourtant pas un film dépressif dont la noirceur s’enroule à l’intrigue pour les faire progresser à grands coups de malheurs faussement poignants. Une qualité en ce qu’il évite la sur-dramatisation théâtralisante factice virant à l’overdose qui peut aussi être perçue comme un défaut dans les nuances de tons trop changeantes. On préfèrera pencher vers la première option car ce petit film élégant a un pouvoir d’attachement et de sympathie indéniable qui fait qu’on lui pardonne beaucoup de ses erreurs.

Bande-annonce :

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