Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Amour
Père : Michael Haneke
Livret de famille : Jean-Louis Trintignant (Georges), Emmanuelle Riva (Anne), Isabelle Huppert (Eva), Alexandre Tharaud (Alexandre), Carole Frank (l’infirmière), William Shimell (Geoff), Ramon Agirre (concierge)…
Date de naissance : 2012
Nationalité : France, Allemagne, Autriche
Taille/Poids : 2h07 – 7,2 millions €
Signes particuliers (+) : Deux acteurs extraordinaires, une histoire poignante et douloureuse.
Signes particuliers (-) : Un manque de pudeur, des égarements thématiques et un sujet de base lourd à regarder, digérer et pour lequel on peut s’interroger sur l’utilité de cet étalage voyeuriste.
QUAND J’SERAI GRAND, J’SERAI VIEUX…
Résumé : Georges et Anne forment un couple aimant de personnes âgées unies depuis des décennies. Quand Anne est victime d’une attaque cérébrale et se retrouve paralysée d’un côté, c’est le début de la fin…
Michael Haneke a fait un nouveau film. Michael Haneke a été une nouvelle fois appelé à Cannes et Michael Haneke a eu une nouvelle fois un Prix, en l’occurrence une nouvelle Palme d’or. Une impression de déjà-vu ? Ben voyons, pourquoi ça ? Ah, et bien sûr, Michael Haneke a une nouvelle fois fait un film anti-joie de vivre mais ça, c’était même pas la peine de le préciser. Venant de l’autrichien amateur de perversité, on se doutait bien qu’une nouvelle œuvre serait tout sauf une balade enjouée en forme d’histoire d’amour romantique au pays des bisounours. Et pourtant, Amour, c’est ironiquement le titre de son petit dernier. Changement de cap pour Haneke ?! Oui et non. Oui dans le sens où le cinéaste quitte provisoirement son terrain qui aime à scruter les travers pathologico-psychologiques, les défaillances malsaines et perverses pour traiter d’amour entre deux êtres et plus précisément entre deux personnes âgées. Mais non car il ne va pas brosser une jolie petite fable sur ce sentiment noble mais un portrait glaçant et austère, redoutablement déprimant, sur la vieillesse, sur la fin de la vie vu par le prisme d’un couple âgé, lui et elle, soixante plus tard. Lui, c’est le désormais très discret au cinéma Jean-Louis Trintignant. Elle, c’est Emmanuelle Riva. Ils se sont jurés de rester ensemble jusqu’à la mort, pour le pire et pour le meilleur. Le meilleur est derrière eux. Maintenant, ils vont devoir affronter le pire. Et bien évidemment, c’est sur ça que Haneke va préférer s’attarder par un film-stratagème d’une grande perversité (bien sûr) dans sa démarche.
Doit-on dire merci au metteur en scène de nous mettre une telle œuvre entre les mains ? A cause de lui, la perspective de la vieillesse et de la mort devient une angoisse cafardeuse suffocante face à laquelle notre insouciance naturelle (le propre de l’homme par essence est de ne pas penser à sa propre fin ou du moins à long terme) que l’on espérait préserver le plus longtemps possible, s’est effritée devant un monument chatoyant les cimes de la sombre glauquerie tragique et déprimante. Amour n’est ni bon ni mauvais. Il esquive le jugement de valeur pour se ranger plus dans la catégorie des films dont on se demande si l’on a -ou avait- vraiment envie de voir ça sur un écran de cinéma ? A t-on vraiment envie de se retrouver face à ce miroir qui nous propose de découvrir comment on a tous de grande chance de finir (c’est là, la perversité de cette démarche) ? A t-on vraiment envie de se lancer dans cette parenthèse amère dont on ne peut ressortir que déprimé avec l’envie d’échapper à tout ça, quitte à abandonner la vie bien avant que cela n’advienne ? C’est le problème de Amour qui, sous son joyeux titre, ne montre finalement rien de lumineux. Il n’existe aucune échappatoire à l’horreur de ce drame, aucune lumière venant éclairer ou nuancer la noirceur des recoins de ce scénario de vie tragique. Haneke partage probablement ses angoisses d’homme vieillissant qui commence à regarder la mort et la fin en face mais il nous balance en plein visage une histoire scrutée au microscope, l’objectif braqué vers un exemple qu’il prend pour modèle. L’exemple de ce vers quoi l’on passera presque tous : la vieillesse, sa douleur, sa dureté, son horreur, sa solitude, son abandon, ses lourds besoins, son harassement. L’amour d’un homme pour sa femme aurait pu amener un peu de cette lumière qui tempère. Mais le cynisme du cinéaste le pousse une nouvelle fois vers un cinéma pervers qui détruit la tendresse de son entreprise. Le prolongement de la vie par les enfants aussi, aurait pu être une échappatoire. Mais non, il ne faudra pas compter sur cet angle là non plus qui ne fait qu’accroître la lourdeur chaotique de la situation par une sensation d’isolement et d’incompréhension qui ajoute du pathos et du tragique. Seule subsiste en fin de compte la noirceur d’un film suffocant, étouffant, étourdissant d’ignominie sur la lente déchéance fatale de l’homme quand il touche à la fin et sur le pourrissement de l’être, de sa chair comme de son âme.
On se demande au final si ce cinéma est de l’esbroufe ou un vrai besoin d’exutoire sincère de la part d’un homme angoissé et qui a besoin de partager ses angoisses par son art et de secouer le spectateur selon une logique propre au travail artistique. Haneke se trahirait presque par moments, notamment lorsqu’il se prête à convoquer artificiellement le malsain par quelques lignes de dialogues aussi inutiles qu’hors-propos (la tirade venue de nulle part d’Isabelle Huppert à son père sur la vision rassurante de lui et de sa mère faisant l’amour) décrédibilisant son entreprise. Mais qu’importe, fermons les yeux et faisons la sourde oreille à ces appels du pied pour se concentrer sur l’essentiel : la peinture d’un couple en fin de vie, elle vivant les séquelles d’attaques cérébrales, lui, essayant de s’en occuper comme il peut malgré la lourdeur de ce que cela requiert car il lui a promis de lui épargner hôpital et hospice. Le quotidien dur, poignant, écrasant, la déchéance sans retour en arrière possible, l’inexorable enfoncement vers le pire… Amour nous montre ce que l’on n’a pas vraiment envie de voir, de savoir. Car après tout, si l’on ne pourra y échapper, à quoi bon y être confronté dès maintenant ?
Le couple Trintignant/Riva est bouleversant même si c’est plus l’histoire qu’ils personnifient qui l’est avant tout. Jouant sur un ton un peu trop théâtral et monacal pour que l’on se familiarise avec leurs personnages tout de suite, ils n’en deviennent pas moins touchants dans ce quotidien douloureux mais qui impose un questionnement une fois terminé : pourquoi ? Quel était finalement le but de cette entreprise qui dénie toute objectivité au profit d’une forme de complaisance ressentie dans le pathos et le terriblement tragique ? Haneke nous met en face de ce que l’on occulte mais pourquoi sinon par basse perversité ? Car voir ce que tout le monde sait déjà pour y avoir été confronté via des parents, des grands-parents ou des voisins ne nous aide ou ne nous amène à rien sinon à sortir de la salle avec un profond sentiment de dépression post-cinématographique renforcé par l’horreur croissante d’un script qui repousse les limites au fur et à mesure de son déroulement/dévoilement/aboutissement et qui surtout, ne se fait aucun point d’honneur à se préserver de toute pudeur. Le résultat est aussi poignant qu’irregardable.
Bande-annonce :
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