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Carte d’identité :
Nom : Albatros
Père : Xavier Beauvois
Date de naissance : 2020
Majorité : 03 novembre 2021
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h55 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de Famille : Jérémie Renier, Marie-Julie Maille, Victor Belmondo…
Signes particuliers : Inégal mais un beau récit à cheval entre le drame et le documentaire.
CONVICTION, CULPABILITÉ ET ACCEPTATION
NOTRE AVIS SUR ALBATROS
Synopsis : Laurent, un commandant de brigade de la gendarmerie d’Etretat, prévoit de se marier avec Marie, sa compagne, mère de sa fille surnommée Poulette. Il aime son métier malgré une confrontation quotidienne avec la misère sociale. En voulant sauver un agriculteur qui menace de se suicider, il le tue. Sa vie va alors basculer.
C’est un article lu à propos de l’histoire d’un agriculteur au bord du précipice lequel avait fini par péter les plombs qui a inspiré Albatros à Xavier Beauvois. De ce triste fait divers, le cinéaste en a formulé une proposition plus complexe, ajoutant des paramètres, densifiant l’histoire et dessinant un ou plusieurs propos. Albatros suit le quotidien d’un gendarme du pays de Caux en Normandie fait de petites banalités de tous les jours, d’opérations de déminage parfois, de simples rappels à l’ordre souvent, ou encore d’agressions, de drames familiaux et on en passe. Jusqu’à la bascule, le jour où il est confronté à un agriculteur, aussi son ami, qui menace de se suicider ne supportant plus la pression. En voulant intervenir, Laurent le tue et voit sa vie basculer.
Avec Albatros, Xavier Beauvois se met en mode « chronique », style narratif qu’il a toujours affectionné et qu’il aime imbriquer à un genre, ici une sorte de croisement entre le polar et le drame social. Contrairement au fait divers découvert dans la presse, le metteur en scène a choisi de ranger son point de vue non pas derrière l’agriculteur en difficulté mais derrière les forces de l’ordre qui ont stoppé son dévissement, en orchestrant ce point de rupture d’une manière plus tragique, bienveillante et empathique. Cet angle névralgique du film lui permet d’épouser une profondeur non négligeable. Beauvois évoque la réalité difficile des gendarmes tantôt en mode « assistante sociale » ou tantôt confronté à l’horreur ou au désarroi ou spectateur d’un monde qui collapse. En l’occurrence ici, celui des agriculteurs français (dont le cinéma parle de plus en plus – voir Au Nom de la terre, Petit Paysan, Normandie Nue ou La Terre des Hommes) pour beaucoup abonnés à la galère. Un travail difficile et exigeant, jamais de vacances ou de weekend, des dettes, des embûches en tout genre et tout ça pour une paye ridicule synonyme de « survie » plus que de « vie ». De quoi expliquer un taux de suicide disproportionné marqué par des drames quasi quotidiens.
Ce qui fait la différence dans Albatros, c’est la qualité du regard de Xavier Beauvois, jamais inquisiteur, jamais surligné, toujours à parfaite distance de son sujet. En observant conjointement le quotidien de ces gendarmes, premiers spectateurs (souvent impuissants) des drames humains, et la réalité qui leur est imposée dans cette histoire, spécifiquement ici la dureté de l’existence de ces agriculteurs laminés par la mondialisation, le cinéaste signe un film passionnant, pertinent mais sans sombrer dans l’idéologique aveuglée, émouvant mais sans verser dans le chantage émotionnel. Toujours sur un fil, le cinéaste épouse son propos avec un mélange de force et de rondeur, maniant à merveille ce portrait de culpabilité.
Porté par un formidable Jérémie Rénier dont on mésestime souvent l’immense talent, Albatros fait mouche même s’il perd un peu de sa puissance dans une seconde partie qui, justement, voudrait en gagner à l’image de son final poétique. Peut-être parce qu’elle tutoie davantage le drame conventionnel là où la première moitié était motivée par une véritable justesse documentaire entre épure, compassion et humanité.
Et juste une réflexion en passant… Ceux qui s’en sont pris avec véhémence à Bac Nord qui soi-disant était très complaisant avec les forces de l’ordre, ils pensent quoi de l’angle choisi pour Albatros qui reprend un fait divers tragique en passant du côté des agriculteurs opprimés vers celui des gendarmes sans cesse pointés du doigt à chaque « affaire » ?
Par Nicolas Rieux