Nom : Mr Arkadin
Père : Orson Welles
Date de naissance : 1954
Majorité : 08 juillet 2015
Type : Sortie DVD/Blu-ray
(Éditeur : Carlotta Films)
Nationalité : France, Espagne
Taille : 1h38 / Poids : NC
Genre : Espionnage, Thriller
Livret de famille : Orson Welles (Arkadin), Robert Arden (Guy van Stratten), Paola Mori (Raina), Akim Tamiroff (Jakob Zouk), Grégoire Aslan (Bracco), Michael Redgrave (Trebitsch), Patricia Medina (Mily), Katina Paxinou (Sophie), Jack Watling (de Rutleigh), Suzanne Flon (baronne Nagel)…
Signes particuliers : Mr Arkadin, ou Quand Orson Welles compose avec des conditions chaotiques pour signer quand même un très grand film.
LA SPLENDEUR DE ORSON WELLES
LA CRITIQUE
Résumé : Europe, années 1950. Juste avant de mourir, un dénommé Bracco lâche le nom de deux personnes impliquées dans son assassinat : Gregory Arkadin, un magnat d’origine russe, et une mystérieuse Sophie. Petit truand américain témoin de la scène, Guy van Stratten décide de mener l’enquête sur Arkadin avec l’aide de son amie Mily. Mais la situation prend bientôt une tout autre tournure : van Stratten est engagé par Arkadin pour enquêter sur le passé trouble de ce dernier…L’INTRO :
Lorsqu’il signe en 1954 Dossier Secret, Orson Welles est dans une passe compliquée. Le cinéaste s’est exilé loin des États-Unis suite à une série de tracas, avec le fisc, avec la commission MacCarthy qui n’a guère apprécié sa correspondance avec Sergei Eisenstein, avec Hollywood aussi, où il est tombé en disgrâce après l’échec de son MacBeth. C’est en Europe que l’artiste essaie de se reconstruire. Après avoir réussi à monter quasi artisanalement son adaptation de Othello, Welles ambitionne de signer à nouveau un grand film à succès qui lui rouvrirait les portes des studios américains. Au gré de ses errances européennes, le cinéaste a rencontré tout un tas de gens et a vu tout un tas de choses, et le scénario hybride qui sera celui de Dossier Secret, va lui être inspiré par un mélange de sources, d’idées et de constations, qui en feront un film aussi foisonnant que fascinant. D’une pièce radiophonique britannique tirée du film Le Troisième Homme de Carol Reed dans lequel il avait joué, à un magnat russe ou un envoyé du Komintern rencontrés, de Staline à Shakespeare, en passant par l’état de l’Europe post-deuxième guerre mondiale et la résurgence de ses malheurs américains qui le troublent depuis plusieurs années, Dossier Secret va puiser ses inspirations dans un ensemble disparate mais qui vont le mener sur les voies du chef d’œuvre du film noir. Un chef d’œuvre toutefois méconnu dans la filmographie de Welles, probablement en partie car un film malade et maudit, résultat d’un énième processus de production extrêmement compliqué et chaotique.L’AVIS :
Dire que Dossier Secret revient de loin serait un doux euphémisme. Le tournage décousu, étalé sur sept mois entre les quatre coins de l’Espagne, Rome, Berlin, Paris ou la Côte d’Azur, se sera interrompu plusieurs fois faute d’argent, plusieurs retakes auront été nécessaires, les relations entre le metteur en scène et son producteur furent très conflictuelles (ce dernier lui imposera lieux de tournage ou acteurs, confisquera une version du montage ou validera avec le distributeur un remontage linéaire à l’opposé de la vision de Welles qui jouait avec une construction puzzle). Et que dire des comédiens attendus comme Ingrid Bergman ou Marlene Dietrich qui ne viendront jamais alors que Welles avait commencé son tournage avec des doublures. Le metteur en scène n’aura eu de cesse d’improviser au jour le jour pour faire face aux déconvenues multiples et à l’anarchie ambiante, la post-production aura pris plus d’un an, le film sera mainte et mainte fois remonté et sortira sous cinq versions différentes, le titre originel et d’à-propos (Mascarade) a été changé en Mr Arkadin puis en Dossier Secret, jugé plus vendeur par Hollywood contre l’avis du cinéaste… En temps normal, un tel contexte de production aurait tué 99% des longs-métrages soumis à de telles secousses destructrices. Pourtant, et bien qu’il revienne de l’enfer, Dossier Secret est une œuvre extraordinaire de cohérence et de splendeur formelle et narrative, et au passage, l’un des long-métrages plus créatifs, modernes et inventifs jamais tourné par Welles. Une preuve ultime de son génie, capable de composer avec le summum du désordre pour signer des chefs d’œuvre exceptionnels qui entreront dans l’histoire.Dans une Europe en ruines en proie à des bonimenteurs sournois et intrigants, Orson Welles signe un polar noir ne cachant pas sa proximité avec son joyau Citizen Kane. Comme si le metteur en scène essayait de revenir à son premier succès pour retrouver sa gloire d’antan. Une fois de plus, Dossier Secret est le récit d’une enquête multipliant les allers et retours dans le passé et le présent, pour reconstruire le portrait éclaté d’un personnage mégalomane dont on remonte le fil de la vie au gré des indices dévoilés. Meurtres, suspens, dédale scénaristique, espionnage, on se croirait dans les meilleurs Raymond Chandler. Écrit avec une intelligence dramaturgique qui n’a d’égale que la finesse des thématiques développées par un film s’apparentant à une sorte d’anti-conte moderne, Dossier Secret est un film prodigieux, furieusement shakespearien, où prédominent les notions de pouvoir, de folie, de vérités truquées, de jeu de miroirs déformants, d’être et de paraître, de lutte du Bien contre le Mal… Et au sommet de ces renvois au dramaturge anglais, le portrait d’une Europe en déliquescence, détruite par un passé récent qui l’a réduite en cendres, et qui se reconstruit à l’ombre d’un nouveau fléau diabolique : l’argent. Omniprésent, pervertisseur, créateur de vilenie, on sent que ces thématiques de l’argent et du pouvoir sont au cœur de ce nouveau film boursoufflé (dans le bon sens du terme), souvent baroque et difforme, où règne une sorte de folie délirante voire grotesque. Welles use de cadrages renversés, de contre-plongées déséquilibrantes, de toute une série d’artifices pour souligner la victoire d’une obsession fiévreuse et inquiétante. Le cinéaste parle t-il même seulement de l’Europe ? On pourra y voir aussi une critique d’un Hollywood avec lequel il n’a pas encore réglé ses comptes mais ce serait sans doute réducteur pour cette œuvre magistrale aux ambitions aussi folles et éclatantes que l’Alcazar de Segovia, repère d’Arkadin.
LE BLU-RAY
Ce n’est désormais qu’une question d’habitude, Carlotta Films ne rechigne jamais sur la qualité de ce que le distributeur cinéphile propose. Et une fois de plus, sa nouvelle sortie star est tout bonnement somptueuse. La version restaurée en Haute Définition de Dossier Secret : Mr Arkadin est sensationnelle et permet de redécouvrir le classique d’Orson Welles dans des conditions optimales. On soulignera notamment la beauté du travail dans le rendu du Noir et Blanc et de sa profondeur, magnifiée par une photographie exceptionnelle.
Côté suppléments, ils sont presque aussi intéressants que la redécouverte du film lui-même. Tout simplement car il y avait énormément de choses à dire autour de Dossier Secret tant il est le fruit d’une aventure de production rocambolesque. Ce que l’on a pu évoqué au début de l’article, est du coup parfaitement détaillé dans trois morceaux de choix. D’abord, un entretien de plus de 45 minutes avec l’historien du cinéma Jean-Pierre Berthomé (auteur du livre Orson Welles au travail). Le spécialiste revient avec moult précisions sur le film sous toutes ses coutures. Ce que l’on apprend de la production notamment, est complété dans un second module, « Men of Mystery » où c’est cette fois un autre spécialiste de Orson Welles, Simon Callow, qui intervient pour parler de la distribution et du fameux producteur français du film, Louis Dolivet. Passionnant également. Enfin, sont proposées 18 minutes d’archives rares et précieuses issues du fond de la Cinémathèque de Luxembourg, où l’on peut voir Orson Welles au travail, sur le tournage du film. Exceptionnelle, voilà une édition définitive et incontournable sur un film qui l’est tout autant.
EXTRAIT :
Par Nicolas Rieux