Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : On the Road
Parents : Walter Salles
Livret de famille : Garrett Hedlund (Dean Moriarty), Sam Riley (Sal Paradise), Kristen Stewart (Marylou), Amy Adams (Jane), Tom Sturridge (Carlo Marx), Alice Braga (Terry), Elizabeth Moss (Galatea), Kirsten Dunst (Camille), Viggo Mortensen (Old Bull Lee), Steve Buscemi…
Date de naissance : 2012
Nationalité : États-Unis, France, Angleterre
Taille/Poids : 2h20 – 25 millions $
Signes particuliers (+) : De bons comédiens. De forts personnages.
Signes particuliers (-) : L’esprit et l’aspérité du roman ne sont pas vraiment là. Des intentions qui en restent au stade d’intentions, jamais abouties. Trop édulcoré. Et si long.
LE TRAJET EST LONG…
Résumé : Au lendemain de la mort de son père, Sal Paradise fait la connaissance de Dean Moriarty, un jeune homme qui comme lui, a soif de liberté et de découvrir le monde plutôt que s’enfermer dans un vie classique, étriquée et étouffante. Le courant passe immédiatement entre eux et avec Marylou, la compagne de Dean, ils décident de prendre la route et de voyager, de vagabonder sans attaches, de partir explorer le monde…
Walter Salles et le roman culte Sur la Route, écrit par Jack Kerouac en 1957, c’était presque une histoire inéluctable, une rencontre que l’on pouvait quasi prophétiser, inévitable. D’un côté, il est un essai, un manifeste incarnant à lui seul, l’esprit de la « Beat Generation », un mouvement littéraire né dans les années 50 sous l’impulsion de Kerouac mais aussi d’auteurs comme W.S. Burrough ou Allen Ginsberg, où la créativité artistique s’alliait avec un amour des grands espaces, de la liberté sans attaches, de la vie marginale et bohémienne en dehors des carcans étriqués du conformisme, doublé d’une attirance et d’une fascination pour toutes les expériences enrichissantes, les milieux underground. En ce sens, Sur la Route, œuvre pionnière du genre, est une ode à la vie libre et libertaire, comme fondement d’un raisonnement, d’un esprit et d’une façon de vivre comme d’apprendre, d’un aiguisement d’un sens artistique. Récit quasi autobiographique d’un des écrivains les plus célèbres du XXème siècle, Sur la Route va incarner cet esprit dit « beatnik », qui à son tour, va inspirer nombre de choses, de chanteurs comme Bob Dylan ou Tom Waits à des mouvements comme les hippies ou la libération sexuelle et sociale, de cinéastes comme Coppola ou Scorsese à un genre en soi, le road movie… Et justement, Coppola et le road movie vont être au centre de cette adaptation. C’est sous l’impulsion du premier que le film verra le jour. Ayant racheté les droits du roman en 1968, Coppola aura passé des décennies à chercher un moyen de le transposer au cinéma, sans succès. Essayant lui-même, puis via d’autres cinéastes (Godard, Gus Van Sant…), l’œuvre, se traînant presque une réputation d’inadaptable désormais, restera longtemps comme un projet fantasmé jusqu’à l’arrivée de Walter Salles. Car de l’autre, il est un cinéaste passionné par le road movie, qui en a fait presque une marque de fabrique. Walter salles et le « voyage », c’est toute une histoire gravée sur pellicule. De Central Do Brasil en passant par Terre Lointaine, le cinéaste brésilien en aura fait une thématique récurrente de ses œuvres et ce ne sera pas Carnets de Voyage, en 2004, qui viendra affirmer le contraire. Evoquant la jeunesse voyageuse du futur fameux Che Guevara et son périple à moto à travers l’Amérique du Sud, périple qui forgera sa future vision du monde, Salles livrait un parfait road movie qui bouleversera la Croisette, le film étant présenté en compétition officielle au Festival de Cannes. C’est de là que démarrera l’histoire croisée entre Walter Salles et Sur la Route, le roman de Jack Kerouac. Découvrant l’œuvre du cinéaste, Coppola, toujours propriétaire des droits en vue d’une adaptation sur grand écran, aura l’idée de contacter le brésilien. Il aura fallu encore pas mal d’années pour que le projet se monte. Entre temps, salles errera du côté de l’horreur avec le remake américain du japonais Dark Water avec de signer un retour aux sources avec Une Famille Brésilienne puis quatre de silence. Quatre en fait de préparation pour s’attaquer à un monument de la littérature américaine. Quatre ans surtout durant lesquels Salles va s’investir totalement dans son projet, sillonnant le pays afin de revivre les pérégrinations évoquées par Kerouac, retrouvant des proches des origines du roman. Quatre ans de réflexion pour savoir comment appréhender et aborder cette œuvre pharamineuse et étrange, pas si facile à mettre en scène. Et finalement, 2012, l’année où voit enfin le jour, après bien plus d’un demi-siècle de tentatives avortées, Sur la Route version grand écran.
Avec cette adaptation, Walter Salles revient à ses vrais amours. Road movie par excellence, tant dans l’esprit que dans les faits, Sur la Route, c’est à la fois un cheminement géographique qui va conduire ses protagonistes (de façon déguisée et non nommée, Kerouac lui-même, Neal Cassady et sa femme de l’époque) à travers tout les États-Unis, mais aussi un cheminement initiatique et de pensée où ce petit groupe va vivre, où plutôt brûler de vivre. Désireux de voir le monde, d’aller à sa rencontre frontalement, de s’y confronter éperdument, amoureusement, le trio va avoir pour but de ne pas se laisser enfermer par la morne vie entendue dans tout son classicisme figé. De l’aveu du héros/Kerouac, ce sont les gens fous qui l’attiraient, ceux qui avaient en eux une fibre prête à tous les excès, à toutes les folies, ceux qui occultaient le monde conventionnel pour vivre selon les désirs du moment, selon les inspirations, à la force des envies, quelles qu’elles soient, sans tabous, restrictions, manières maniérées, sans cette faiblesse de se fondre par obligation dans un moule préfabriqué par la société dictatoriale dans la pensée. Le trio principal, et par extension les rencontres qu’ils feront, ou leur cercle élargi, représente tout cela. Cette douce folie les a amenée à vivre passionnément les expériences qu’ils ont pu faire, en cherchant à en retirer des enseignements, des enrichissements, en jouissant dans un esprit épicurien, d’une totale liberté. C’est de cela dont traite Sur la Route et c’est que symbolise ce trio présenté, une volonté de vivre libre, de se séparer de toutes attaches handicapantes entravant leurs désirs d’aspirer à une vie vécue pleinement, dans un esprit résolument libertaire où rien n’était tabou. Libération sexuelle, sociale, formelle, spirituelle, Sur la Route est un road movie en forme de road trip aux vapeurs alcoolisées et droguées où notre jeunes protagonistes vont tester, apprendre, se nourrir de tout un tas de choses pour une vie dont ils ne pourront jamais dire qu’ils ne l’ont pas vécu ou qu’à moitié.
Ce trio, c’est tout d’abord l’acteur anglais, Sam Riley, jeune homme vu pour l’heure dans peu de choses marquantes mais dont on risque de reparler. Premier rôle dans le Control D’Anton Corbjin, il a erré dans quelques thrillers (13, Brighton Rock) ou dans le discret irlandais Dark World. A se côtés, la véritable révélation de Sur la Route, c’est incontestablement Garret Hedlund interprétant l’entraînant Dean Moriarty, celui qui va pousser Sal Paradise dans sa nouvelle vie. Vu dans tout un tas de productions hollywoodiennes (Tron, Troie, Death Sentence, Eragon), Garret Hedlund campe un hallucinant sidekick qui devient presque le premier rôle de cette fresque ubuesque, comme la personnification d’une nouvelle forme de jeunesse rompant d’avec les codes de ses aînés. Impressionnant et habité par son personnage excessif en tout point, Hedlund est la lumière d’un film dont le casting principal est complété par l’ex-Bella à la mâchoire carrée, Kirsten Stewart qui tourne résolument le dos à la saga Twilight en poursuivant son petit bonhomme de chemin dans des rôles de plus en plus trash (après Welcome to the Riley et The Runaways). Et au gré de leurs pérégrinations, ce sera pas moins de Viggo Mortensen, Steve Buscemi, Alice Braga, Amy Adams ou Kirsten Dunst qui offriront des compositions plus ou moins longues mais non pour autant marquantes. Un casting large et éclectique pour un film aux allures de trip tantôt irréel tantôt surréaliste, tantôt solidement ancré les pieds sur une Terre qu’ils foulent avec puissance et amour de la vie dans ce qu’elle a de plus simple à offrir.
Sur la Route version Walter Salles atterrira directement en pleine compétition officielle cannoise, le cinéaste y faisant donc sa troisième visite. A fleur de peau dans les sentiments qu’elle tente de faire passer comme dans les idées qu’elle dévoile, cette lumineuse ode au voyage et à la liberté d’une vie délestée de ses convenances mais surtout de ses poids existentiels veut nous présenter des cheminements dans ce qu’ils ont pu avoir à la fois de beau et de tragique parfois, les personnages étant tous plus ou moins abîmés par quelque chose ou s’abîmant dans cette course effrénée contre le temps, la mort, la vie. Mais leur errements s’effacent vite au profit d’un idéal plus grand, plus vaste, celui de la route, du voyage, de l’excitation folle, de la vie avec un immense V majuscule où les kilomètres parcourus le sont sur fond d’abandon total à une conception des choses. Sexe, drogues et non pas rock’n roll mais amitiés, expériences et arts en général sont le quotidien de ces quelques années de folie consumériste de vie. Sal Paradise, Marylou et Dean Moriarty sont la personnification d’un vent de liberté soufflant sur la jeunesse d’une époque souhaitant tourner le dos à des années de carcan étouffant et étriqué imposé par la société et n’aspirent qu’à une chose, retrouver la passion de la liberté au sens noble du terme, celle des grands espaces, de la nature dans sa conception philosophique. Salles, en grand artisan du road movie, s’efforce de restituer une ambiance, celle de ces pérégrinations alcoolisées/shootées éveillant les sens dans un parfum de décalage au monde. Doué en la matière, il réussit partiellement à nous proposer un voyage complètement déjanté fait de départs, de retours pour de meilleurs re-départs en retranscrivant cette sensation de ne pas pouvoir tenir en place au même endroit, cette sensation de bougeotte permanente par peur, quelque part, de s’enliser dans un quotidien triste. Et la folie de ce trio en deviendrait presque addictive si elle ne se heurtait pas, dans de brefs moments, à une certaine forme de mélancolie rappelant qu’il est parfois bon aussi d’avoir un chez soi, une place à soi.
Salles réussit presque son coup. Presque seulement. Car le roman n’avait pas cette réputation d’inadaptable pour rien et les nombreuses tentatives avortées ne l’ont pas été pour rien. Le roman de Jack Kerouac était plus qu’une apologie de la liberté même si elle restait une thématique profondément ancrée. C’était tout un ensemble cohérent dont les différents éléments tendaient ensemble vers un même idéal, vers une même finalité en se nourrissant les uns des autres. La nature, ses grands espaces, la joie, l’amitié, la liberté, la vie libertaire qui allait avec, les rencontres, les anecdotes, les expériences, les enrichissements, tout cela nourrissait une pensée, une philosophie qui s’extirpait discrètement de ce collage de moments éparses. Salles a vu grand. Avec cette transposition, c’est un ensemble philosophico-socialo-humaniste qu’il fallait rendre. Et par quel bout le prendre devenait un problème de taille, un écueil presque insoluble. Et forcément, pas mal de choses restent sur le bord de la route empruntée par les personnages où sont traités avec difficulté, certains éléments prenant le pas sur d’autres. On sent l’ode à une forme d’amitié à la fois profonde et à la fois égoïste, on sent un esprit en forme de déclaration à une vie à la Into The Wild mais on sent surtout cet état d’esprit propice à la défonce permanente, un peu à la manière du récent Rhum Express traitant du journalisme Gonzo, qui suivra temporellement. Mais le voyage finit par tourner un peu en rond, et la route est longue, très longue. Salles a du mal à boucler la boucle et étrangement, alors qu’il avait multitude de choses à traiter, le cinéaste peine à faire aboutir son film vers sa finalité, vers ce à quoi tendaient toutes ces années de dérives existentielles. Cherchant par ailleurs à mettre ensemble tous les éléments constitutifs du roman, le cinéaste en oublie de rendre l’âme même de l’écrit d’origine, et c’est finalement dans un énième road movie indépendant que l’on tombe sans jamais vraiment s’attacher aux personnages et à leur cause. La liberté est le centre de tout mais le vent qu’elle souffle nous glisse entre les doigts et c’est dans de trop rares occasions que l’on parvient à ressentir les émotions, à partager ce voyage fou, qui nous semble pénible façon « quand est-ce qu’on arrive ». Car à trop vouloir faire passer des idéaux, ce sont les personnages qui sont parfois sacrifiés et à trop vouloir se concentrer sur les personnages, c’est l’esprit de l’ensemble qui souffre à son tour. Salles a du mal à donner une homogénéité à son film mais surtout, une cohérence globale et un équilibre. Tantôt trop propret, tantôt déviant, Sur la Route s’égare en cours de route sur les nombreux chemins qu’il parcourt et manque de communiquer un ressenti, nous rendant trop spectateur des anecdotes de Kerouac plus qu’il nous les fait vivre avec rage et passion enflammée et vertigineuse. Reste un dernier quart d’heure fort marqué par une dernière confrontation entre les deux héros pleine d’émotion, celle justement absente du reste du récit. Une scène qui traduit à elle seule beaucoup de choses, même par des non-dits.
Salles édulcore le roman, sans pour autant le trahir. Il le prend sous sa coupe, tâtonne pour en rendre l’essence mais l’œuvre de Kerouac tombe sous la coupe du style du cinéaste brésilien qui sans accoucher d’une purge, pond un film plutôt maladroit, se heurtant à l’ambition qu’exigeait une adaptation dès plus compliquée. Avec plus d’émotions, avec plus de ressentis, on aurait approché, à défaut d’une parfaite retranscription, au moins à une œuvre intéressante. Mais l’ambiance fiévreuse est trop absente et le bel objet que nous sert Salles manque de piquant et d’une orientation moins redondante où un but se serait dégagé plus clairement. C’eut pu être bien pire, la trahison est évitée mais le détachement de ses élucubrations est trop handicapant.
Bande-annonce :
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