Au menu du ciné-club ce samedi, le mode d’emploi pour Ingmar Bergman, le classique Les Forbans de la Nuit de Jules Dassin et Les Amants du Capricorne d’Hitchcock qui arrive déjà en Blu-ray !
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BERGMAN, MODE D’EMPLOI
De Jane Mgnusson – (2018)
Genre : Documentaire – Suède
Avec : Ingmar Bergman
Sortie en coffret Blu-ray le 20 mars 2019
Synopsis : Une plongée dans l’univers du maître suédois qui tente de percer le mystère de l’homme controversé et de l’artiste de génie qui se cachent derrière Ingmar Bergman.
Alerte rouge à l’attention de tous les fans d’Ingmar Bergman, un somptueux coffret débarque. Un coffret avec les films du cinéaste ? Non, un coffret de documentaires pour plonger intensément et passionnément dans l’œuvre du maître suédois qui, comme celles des Kubrick et autres Orson Welles, n’a certainement pas encore dévoilé tous ses secrets et trésors cachés. Réalisé par une Jane Magnusson que l’on sent viscéralement possédée par son sujet, Bergman, une année dans une vie prend comme porte d’entrée l’année 1957, année où Bergman va connaître une productivité accrue avec deux films qui sortent (les chefs-d’oeuvre Le Septième Sceau et Les Fraises Sauvages), deux autres qui se tournent, plus un téléfilm et quatre pièces de théâtre. Tout cela en parallèle d’une vie personnelle tumultueuse. Le documentaire explore cette année fondatrice qui va transformer Bergman en figure majeure du cinéma et marquer le début d’une continuité dans son art : cette façon d’utiliser le cinéma comme une thérapie pour projeter ses démons intérieurs et obsessions personnelles. Un peu comme un certain Lars von Trier. Nourri d’archives incroyables et d’entretiens passionnants, Bergman, une année dans une vie est un documentaire riche, travaillé, qui évite l’écueil de la complaisance fanatique pour dresser le portrait d’un homme ambivalent et énigmatique, tantôt séducteur amusant, névrosé attachant ou tyran un peu fou. Reste que l’effort est un peu long et perd parfois son axe principal. Autant dire que la version étendue de 4 heures proposée sur un second Blu-ray est vraiment réservée aux fans purs et durs du cinéaste car si elle est mieux construite (en 4 actes), elle est en revanche plus pesante à suivre. Enfin, pour compléter tout cela, le livre/abécédaire baptisé « Ingmar Bergman de A à O » (144 pages), inédit en France et exclusif au coffret, pourra justifier à lui-seul l’achat de cette belle pièce pour cinéphiles. Sous la direction de Martin Thomasson, l’ouvrage de référence propose 145 clés d’entrée dans la vie et l’œuvre de Bergman avec au passage, de nombreuses anecdotes et faits méconnus. Bon allez, c’est pas tout ça, mais on a envie de revoir Persona, Le Septième Sceau ou Cris et Chuchotements maintenant !
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LES FORBANS DE LA NUIT
De Jules Dassin – (1950)
Genre : Film Noir – Angleterre
Avec : Richard Widmark
Disponible en Coffret Blu-ray Collector le 27 mars 2019
Synopsis : Suite à la rencontre de Gregorius, un champion de lutte, Harry Fabian décide d’organiser des combats. Ce dernier utilise toujours des combines louches ou compliquées pour mener à bien ses projets et cette fois-ci n’échappe pas à la règle… Il fait appel à des personnes peu recommandables auprès desquelles il doit rapidement en découdre.
En ce mois de mars, Wild Side rend un bel hommage à Jules Dassin en éditant l’un de ses plus grands chef-d’oeuvre, le bijou du film noir qu’est Les Forbans de la Nuit avec l’excellent Richard Widmark et la sublime Gene Tierney. Mais parce que Wild Side ne fait jamais les choses à moitié, pas question d’une simple sortie Blu-ray, comme ça l’air de rien. Non, l’éditeur cinéphile a fait les choses bien et en grand avec un somptueux coffret Blu-ray + DVD + livre. Et outre un visuel qui a une classe folle, le contenu est tout simplement excellent.
Réalisé en 1949 alors que la « mode » du film noir bat son plein aux États-Unis (depuis 1941, le cinéma yankee a vu fleurir Le Faucon Maltais, Assurance sur la Mort, Laura, Gilda, Le Grand Sommeil, Les Tueurs ou encore La Dame de Shanghai), Les Forbans de la Nuit est l’un des films les plus célèbres de Jules Dassin. Un film qu’il a réalisé durant sa très courte période anglaise. En effet, à la fin des années 40, le cinéaste est dénoncé à la commission d’enquête contre les activités anti-américaines par son confrère Edward Dmytryk. Inscrit sur la « liste noire » des artistes indésirables à Hollywood, il quitte le pays et part pour Londres avec dans ses bagages, un livre que lui avait conseillé le producteur Daryl F. Zanuck. Ce livre de Gerald Kersh donnera naissance au premier film et au dernier film que Dassin tournera en Angleterre car sa carrière y sera stoppée net par l’annonce que ses films ne seraient pas distribués aux États-Unis. L’Angleterre le lâchera, la France le récupérera pour Du Rififi et des Hommes. Originellement, Les Forbans de la Nuit devait d’ailleurs se tourner à New-York avec Cary Grant et Ida Lupino. Mais ça c’était avant la triste « chasse aux sorcières rouges ». Résultat, c’est à dans le Londres de la fin des années 40 que Dassin situera son histoire dans laquelle un homme de main tente de monter une affaire pour faire fortune. Mais son plan va se retourner contre lui, et en l’espace d’une nuit, il va devenir un fugitif dont la tête sera mise à prix par la pègre londonienne. Film d’un exilé forcé, Les Forbans de la Nuit va pourtant s’imposer comme l’un des trésors de la filmographie de Jules Dassin, un pur film noir dans lequel le cinéaste joue de son style habituel entre réalisme et lyrisme tout en injectant énormément de choses très personnelles. Le cinéaste y témoigne de sa vision sombre d’un monde qui court à sa perte à travers un personnage piégé et dont le destin est quasiment déjà scellé dès le début. Dassin peut même se voir dans cet anti-héros incarné par Widmark, lui le metteur en scène trahi, rejeté, isolé, traqué, pris à son propre piège, presque un artiste à la mort programmée et en suspens. Formellement, Dassin a fait le choix d’un étrange mélange d’épure façon néoréalisme, de baroque intensément onirique, voire de regard proche du documentaire. Un style foisonnant et perturbant, conjugué à un découpage hyper nerveux assemblant des plans aux cadrages déstabilisants magnifiés par la superbe photographie très américano-européenne de Max Greene. A l’arrivée, pour ce que l’on peut y voir dans l’analyse comme pour la manière dont il nous balance son histoire à la figure, Les Forbans de la Nuit est un grand film.
Le Blu-ray maintenant. Techniquement, c’est du très beau travail que propose Wild Side avec une galette bénéficiant d’un superbe master restauré à la définition excellente. Les contrastes, la profondeur des noirs et la richesse de la palette des blancs et des gris nous offrent un film resplendissant dénué de défauts. Côté son, le mixage est moins précis sur la VF qui souffre de son grand âge. La version originale anglaise est plus claire, mieux définie, mieux équilibrée. On en vient aux formidables suppléments ajoutés au film. Il y a de quoi dire, à commencer par la possibilité de pouvoir enfin découvrir le film dans ses deux versions, le montage américain et le montage anglais, plus long de 5 minutes et présentant une fin alternative. Suit Running In The Dark, un passionnant entretien avec Glenn Erickson, spécialiste du film noir (42 min.) et l’émission télévisée Le Club de Jules Dassin présentée par le regretté Jean-Jacques Bernard avec Jules Dassin, Denis Parent, Christine Haas et Jean Ollé-Laprune (50 min). Enfin, comme souvent avec les éditions collectors éditées par Wild Side, il y a le livre. Ici, Le Squelette de l’histoire de Philippe Garnier (220 pages), généreusement illustré de photos et d’archives rares. Comme l’entretien avec Glenn Erickson, le livre du journaliste est l’occasion de se replonger dans la genèse du film, sa production et son tournage compliqués. En somme, ce que l’on évoquait succinctement au début mais en plus détaillé et parfaitement expliqué.
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LES AMANTS DU CAPRICORNE
D’Alfred Hitchcock – (1949)
Genre : Drame – USA
Avec : Ingrid Bergman, Joseph Cotten, Michael Wilding…
Sortie en Blu-ray le 02 avril 2019
Synopsis : L’Australie en 1835. Le neveu du gouverneur, Charles Adare, arrivant d’Angleterre, est convié à dîner chez un ancien forçat enrichi, Sam Flusky, qui est marié à l’une des cousines de Charles, Lady Harrietta. Charles Adare découvre que sa cousine, devenue alcoolique, est terrorisée par sa gouvernante Milly et, tout en s’efforçant de la guérir, il s’éprend d’elle…
Vous reprendrez bien un petit peu d’Hitchcock ? Comment dire non ? Surtout si le menu est composé des Amants du Capricorne ! Débarqué aux États-Unis à la fin des années 30, Alfred Hitchcock va connaître une bonne décennie de travail au cœur des studios hollywoodiens avec David O’Selznick puis avec la RKO, la Universal ou la 20th Century Fox. Mais le manque de liberté offert par le système l’amènera à créer avec son ami Sidney Bernstein, la Transaltic Pictures, sa propre société de production. La Transaltic ne tiendra malheureusement que deux films. Le premier sera La Corde, un succès, et le second Les Amants du Capricorne, projet en costumes entièrement monté autour d’Ingrid Bergman mais qui sera un échec cuisant. Adieu la jeune Transaltic Pictures. Pourtant, et s’il n’est pas l’un de ses films les plus connus à côté de Psychose et autres Les Oiseaux ou Vertigo, Les Amants du Capricorne était (et demeure) à bien des égards un effort très intéressant du maître. Hitchcock y poursuit ses expérimentations sur les longs plans séquence, dans la lignée de ce qu’il avait fait sur La Corde juste avant. Cela dit, le cinéaste ne s’est pas autant enfermé dans le dispositif. Il n’a pas cherché le pari artistique malin mais davantage à incorporer ses possibilités testées dans sa réalisation. Et le résultat est fascinant. Outre le fait d’être un superbe drame romanesque porté par d’immenses comédiens (le duo Ingrid Bergman et Joseph Cotten), Les Amants du Capricorne est une petite merveille de mise en scène maîtrisée. Hitchcock dira que c’est le film qu’il aime le moins dans sa longue filmographie. Mais beaucoup parleront et parlent encore de chef d’œuvre méconnu. Et c’est une expression qui convient bien à ce film maudit qui brille sur des points assez éloignés de la patte hitchcockienne devenue si célèbre. Le metteur en scène quitte le thriller à suspens ou l’espionnage et s’essaie à autre chose, injectant beaucoup plus de sensibilité et d’émotion dans une œuvre qui tord le cou aux codes du genre. Sous l’œil de sa caméra, le drame sentimental devient autre chose que les nombreux mélos mielleux qui pullulaient à l’époque. Le rythme n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui explique sans doute le désamour d’Hitchcock pour ce film, lui qui a toujours été obsédé par le « rythme », mais au-delà de ses imperfections, ce classique qui n’en est tristement pas devenu un, est à redécouvrir de toute urgence ! Sorti en version restaurée au cinéma il y a quelques semaines, ce qui avait permis de profiter de la splendeur de son technicolor, Les Amants du Capricorne sort en Blu-ray chez L’Atelier D’Images dans une superbe édition richement agrémentée.
Outre le film dans sa magnifique version restaurée (le transfert est parfait et le rendu sonore est bien travaillé du haut de son DTS-HD 2.0 mono d’origine), de nombreux bonus exceptionnels (et on pèse nos mots) viennent enrichir la galette HD. A commencer par un portrait d’Alfred Hitchcock vu par Claude Chabrol (réalisé en 1999). Le cinéaste français revient sur la vision qu’il avait d’Hitchcock au temps des Cahiers du Cinéma puis évoque le metteur en scène tout en livrant de nombreuses anecdotes. 30 minutes de pur bonheur à écouter. Suit la présentation du film dans le Ciné-Club par François Truffaut à l’occasion du lancement d’un cycle Hitchcock (5 min.). Truffaut revient notamment sur les raisons qui font qu’Hitchcock déteste viscéralement Les Amants du Capricorne. Court mais intéressant. François Truffaut, on le retrouve justement dans un autre supplément tiré des célébrissimes entretiens entre le réalisateur et Hitchcock. Le Blu-ray des Amants du Capricorne propose la partie de ces entretiens consacrée au film (12 min.). Les entretiens étant audio, ils sont illustrés par des photographies. Tout aussi captivant soit le contenu de l’échange, il reste difficile à suivre en raison du choix du doublage (d’époque) en lieu et place de sous-titres ce qui rend perturbe fortement l’écoute. Enfin, une présentation du film (9 min.) du toujours pertinent historien Patrick Brion et la bande-annonce originale du film. A l’arrivée, on sait tout ou presque sur Les Amants du Capricorne dans des bonus jamais trop longs, jamais trop courts.
RETROUVEZ LES ANCIENS CHAPITRES DU WALL CINÉ PICTURES ICI
Par Nicolas Rieux