Au menu du ciné-club ce samedi, deux éditions collector indispensables, d’abord La Dame de Shanghai d’Orson Welles puis 1900 de Bertolucci, et l’angoissant Le Prince des Ténèbres à redécouvrir au cinéma en version restaurée !
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LA DAME DE SHANGHAI
D’Orson Welles – (1948)
Genre : Film noir – USA
Avec : Rita Hayworth, Orson Welles…
Disponible en Coffret Collector Blu-ray le 14 novembre 2018
Synopsis : À Central Park, un marin nommé Michael O’Hara vole au secours d’une mystérieuse jeune femme. Il s’agit d’Elsa Bannister, l’épouse d’un riche et célèbre avocat. Pour le remercier, celle-ci lui propose de les accompagner pour une croisière dans les Caraïbes. D’abord réticent, Michael finit par accepter. Son attirance pour Elsa ne va cesser de croître, sous les yeux du mari et de son sinistre associé George Grisby. Aveuglé par son amour, le marin va bientôt se retrouver entraîné dans une histoire de fraude et de meurtre…
En 1948, la carrière d’Orson Welles au cinéma, qui a commencé une dizaine d’années plus tôt, a déjà connu de nombreux remous. Celui que l’on surnommait « ‘l’enfant terrible d’Hollywood’ a déjà vécu beaucoup de choses, le succès critique avec l’oscarisé Citizen Kane, l’échec commercial avec La Splendeur des Amberson, les affres d’un conflit avec un studio (la RKO) et pas mal de producteurs et huiles hollywoodiennes sur fond de créativité bridée et de modifications de ses œuvres. Il a connu le triomphe public aussi avec Le Criminel, sur lequel il s’est mis en mode faiseur et qu’il considèrera longtemps comme son plus mauvais film. Welles s’est fait des amis, comme John Huston, de nombreux ennemis aussi, et il a rencontré une femme qu’il aime : Rita Hayworth. Et justement, parlons-en de la belle Rita. En 1946, Welles et Hayworth sont mariés depuis peu qu’ils parlent déjà de divorce. De quoi entacher un peu leur joie de pouvoir ensemble La Dame de Shanghai, nouveau long-métrage d’un Welles acteur-réalisateur. Le tournage fut réputé difficile en raison des relations tendues entre Welles et Hayworth. Le film sera ensuite malmené, comme la plupart des œuvres d’Orson Welles. Les projections tests furent désastreuses, le public s’offusquera de voir la belle et rousse Rita transformée en femme fatale froide et vénéneuse du haut de sa chevelure blonde platine… La Columbia décidera de repousser la sortie afin de privilégier Gilda, qui assoira au passage le statut de superstar de Rita Hayworth. Néanmoins, le film ne sera pas un succès. En revanche, il deviendra un film culte. Un chef-d’oeuvre même, à cheval entre la romance suffocante, le thriller, le film noir et le film d’aventures. Une fois de plus, Orson Welles y fait l’étalage de sa virtuosité, de son impressionnant sens de la mise en scène. La Dame de Shanghai regorge de plans d’une beauté indécente, il baigne dans une atmosphère particulièrement envoûtante, brise de nombreux codes en cherchant l’originalité du traitement narratif et s’offre, quand on gratte un peu sa coque, comme une réflexion sur le cinéma lui-même, ses mythes, ses artifices, son pouvoir d’attraction et ses mensonges. A l’écran, Rita Hayworth n’a jamais été aussi belle, excepté dans Gilda. Film fascinant par excellence, mais aussi prouesse technique, artistique et scénaristique, La Dame de Shanghai est à redécouvrir aujourd’hui dans un nouvel écrin à son image : de toute beauté. Carlotta Films a choisi ce 4eme long-métrage d’Orson Welles (si l’on met de côté les œuvres inachevées ou terminées par d’autres) pour compléter sa collection de coffrets Ultra Collector. La Dame de Shanghai vient ainsi y reposer aux côtés de Phantom of the Paradise, L’Année du Dragon, Little Big Man ou encore Police fédérale Los Angeles. Dans un coffret prestige à tomber à la renverse, le film en Blu-ray version restaurée 4k, un livre de 160 pages signé Frank Lafont (docteur en études cinématographiques) qui décortique cette immense œuvre de Welles, et une pléiade de suppléments formidables. A commencer par une conversation (21 min.) avec l’illustre cinéaste Peter Bogdanovich, vieil ami de Welles qui a même travaillé avec lui. Le metteur en scène revient sur le chemin parcouru par l’œuvre, de film mineur à film culte. Dans un second module, Simon Callow, auteur d’une riche biographie sur Welles, livre son analyse sur La Dame de Shanghai (21 min.) et évoque autant le travail de Welles que son caractère légendaire qui le conduira à être mis au ban d’Hollywood. Enfin, c’est au tour d’Henry Jaglom d’évoquer Welles (24 min.), lui le réalisateur qui l’a eu comme acteur sur son premier long-métrage et qui deviendra son ami. Des suppléments passionnants, comme toujours dans les éditions ultra-collector de Carlotta. A noter d’un point de vue technique, que la galette Blu-ray redonne un sacré coup de jeunesse au film avec une image d’une exceptionnelle splendeur, magnifiant notamment sa composition chromatique en noir et blanc.
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1900
De Bernardo Bertolucci – (1976)
Genre : Drame – Italie
Avec : Robert De Niro, Gérard Depardieu, Dominique Sanda…
Disponible en coffret Blu-ray Collector le 21 novembre 2018
Synopsis : Au cours de l’été 1900, deux enfants voient le jour dans un village d’Émilie : le premier, Olmo Dalco, appartient au monde des métayers, l’autre, Alfredo Berlinghieri, est le petit-fils d’un riche propriétaire. Ils vivront ensemble les tourments politiques et historiques de l’Italie de la première moitié du XXe siècle.
Après avoir parlé d’un immense cinéaste américain, on traverse l’Atlantique pour revenir en Europe et parler d’un autre immense cinéaste, cette fois-ci italien. En 1975, Bernardo Bertolucci se lance dans le plus gros et grand film de sa carrière. Le metteur en scène transalpin vient tout juste de se faire nom dans le monde entier grâce au parfum de scandale provoqué par son Dernier Tango à Paris, le drame érotisant avec Marlon Brando et Maria Schneider qui connaîtra un véritable succès. Pour embrayer, le très courtisé Bertolucci a carte blanche. Il va se lancer dans un projet personnel qu’il chérissait depuis des lustres, une fresque sur l’Italie du XXème siècle. Pour faire, le cinéaste va d’abord réunir un budget pharamineux pour l’époque (6 millions de dollars qui deviendront 9 millions après un bon gros dépassement) grâce à l’association de trois producteurs différents. Puis ce sera une distribution de classe mondiale qu’il convaincra, avec comme têtes d’affiche de sa fresque étalée sur plus de 45 ans, Robert de Niro et Gérard Depardieu. Mais aussi Donald Sutherland, Alida Valli, Burt Lancaster, Sterling Hayden, Dominique Sanda… Ambitieux, Bertolucci l’était. Mais talentueux aussi et c’est ce qui lui permettra de matérialiser avec génie ses intentions. 1900 deviendra un chef-d’oeuvre à tous les égards. Un chef-d’oeuvre de narration d’abord, qui parvient à contenir ses ambitions galopantes et son histoire d’une ampleur considérable sans jamais tomber ni dans la lourdeur ni dans la longueur malgré une durée monstrueuse de plus de 5 heures. Un chef-d’oeuvre d’intelligence aussi, alors que le film compile densément et pertinemment toutes les thématiques chères au cinéaste, la terre, la patrie, la sexualité, le pouvoir, la famille, l’évolution des hommes, la politique, l’histoire… Un chef-d’oeuvre subversif également avec de nombreuses scènes chocs qui marqueront à jamais. Et enfin, un chef-d’oeuvre de mise en scène et d’innovations, techniques comme narratives. On se souviendra à vie de ce plan au début du film où le réalisateur fait un raccord temporel en balayant le ciel, autant que la structure audacieuse du film qui maîtrise à la perfection ses deux récits conjoints. D’une beauté absolue, 1900 brille également dans sa photographie magistrale, dans sa musique avec un grand Ennio Morricone aux manettes, et dans son interprétation avec deux immenses De Niro et Depardieu, qui deviendront d’ailleurs très amis par la suite. 1900 est un monument, une fresque mythique, l’un des plus grands bijoux de l’histoire du cinéma italien. Et c’est dans une édition collector ultime qu’il est à (re)découvrir aujourd’hui grâce à Wild Side. Dans un coffret d’une très grande beauté plastique, le film en version restaurée 4k (restauration supervisée par Bertolucci lui-même). Côté suppléments, cette édition qui tient sur trois galettes -deux pour les deux parties du film et une de compléments- rassemble un contenu passionnant. A commencer par un long entretien inédit avec Bertolucci (39 min) qui raconte la genèse du projet. Suit un formidable making of d’époque de plus d’une heure, un module très intéressant quoiqu’un peu long consacré au travail de restauration (33 min.), un entretien avec le directeur de la photo Vittorio Storaro (là aussi intéressant mais un peu trop long du haut de ses 52 min.). Toujours dans les bonus inédits, une courte interview de 8 minutes de Robert de Niro et des souvenirs de tournage de Donald Sutherland (19 min.). On regrettera que Gérard Depardieu n’ait pas participé à cette célébration cinématographique d’un classique de sa carrière. Enfin, un livret de 160 pages accompagne l’édition, livret présentant un texte de Guiseppina Sapio (spécialiste de Bertolucci) et un album-photodu film tiré d’archives rares. Clairement, une édition définitive et ultra-complète sur un trésor du cinéma, au passage restauré de main de maître, 1900 retrouvant une jeunesse à l’éclat fascinant. Indispensable !
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LE PRINCE DES TÉNÈBRES
De John Carpenter – 1987 (1h37)
Genre : Horreur – USA
Avec : Donald Pleasence, Jameson Parker, Victor Wong…
Ressortie au cinéma le 28 novembre 2018
Synopsis : À la demande d’un prêtre, un groupe de scientifiques vient étudier un mystérieux cylindre de verre enfermé dans la crypte d’une église de la banlieue de Los Angeles. Au cours de leurs recherches, les scientifiques comprennent qu’ils se trouvent devant un processus irréversible dont le but est l’avènement du Mal…
Depuis quelques semaines, Splendor Films régale les amateurs de genre (et de cinéma tout court) en remettant à l’honneur l’immense John Carpenter via la ressortie sur grand écran de ses plus grands chefs-d’oeuvre. Après Jack Burton, Halloween, Fog et bientôt New-York 1997 et Invasion Los Angeles, c’est au tour du Prince des Ténèbres de revenir terrifier dans les salles obscures. Quand il réalise le film en 1987, Carpenter essayait de se remettre en selle après l’échec cuisant de son Jack Burton. Le Prince des ténèbres est tourné pour un budget ridicule de 3 millions et Big John y officie à la mise en scène, au scénario (sous un pseudo) et à la musique (et quelle partition inquiétante va t-il encore pondre !!). A sa sortie, le film ne sera pas un immense succès, juste correct. Il gagnera toutefois le Grand Prix à Avoriaz et ne deviendra culte que plus tard. Et quel dommage car aux côtés de ses meilleurs, Le Prince des Ténèbres est l’un des bijoux de la filmographie du cinéaste. Carpenter s’y montre créatif avec pas grand-chose, ménage quelques séquences mémorables, et surtout, assoie une ambiance d’épouvante qui fonctionne terriblement. Mais pas seulement. En creux de son récit d’horreur, John Carpenter évoque une fois de plus l’Amérique moderne gangréné par le déclin, infiltré par le Mal de l’intérieur, Mal qui s’imisce dans ses lieux et aspects les plus sacrés pour la ronger et la faire vaciller. Film d’horreur angoissant et film politique en sous-texte, pas de doute, Le Prince des Ténèbres est bien du pur Carpenter. Sur grand écran, autant dire que c’est un bonheur, d’autant que le 28 novembre prochain, le film ressort en version restaurée 4k, comme Halloween il y a quelque ssemaines. Par-fait !
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Par Nicolas Rieux