Au menu du ciné-club ce samedi, un Hitchcock méconnu, Tsui Hark au sommet de son art et les années 70 de Jacques Rivette.
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LES AMANTS DU CAPRICORNE
D’Alfred Hitchcock – (1949)
Genre : Drame – USA
Avec : Ingrid Bergman, Joseph Cotten, Michael Wilding…
Ressortie au cinéma le 27 février 2019
Synopsis : L’Australie en 1835. Le neveu du gouverneur, Charles Adare, arrivant d’Angleterre, est convié à dîner chez un ancien forçat enrichi, Sam Flusky, qui est marié à l’une des cousines de Charles, Lady Harrietta. Charles Adare découvre que sa cousine, devenue alcoolique, est terrorisée par sa gouvernante Milly et, tout en s’efforçant de la guérir, il s’éprend d’elle…
Vous reprendrez bien un petit peu d’Hitchcock ? Comment dire non ? Surtout si le menu est composé des Amants du Capricorne ! Débarqué aux États-Unis à la fin des années 30, Alfred Hitchcock va connaître une bonne décennie de travail au cœur des studios hollywoodiens avec David O’Selznick puis avec la RKO, la Universal ou la 20th Century Fox. Mais le manque de liberté offert par le système l’amènera à créer avec son ami Sidney Bernstein, la Transaltic Pictures, sa propre société de production. La Transaltic ne tiendra malheureusement que deux films. Le premier sera La Corde, un succès, et le second Les Amants du Capricorne, projet en costumes entièrement monté autour d’Ingrid Bergman mais qui sera un échec cuisant. Adieu la jeune Transaltic Pictures. Pourtant, et s’il n’est pas l’un de ses films les plus connus à côté de Psychose et autres Les Oiseaux ou Vertigo, Les Amants du Capricorne était (et demeure) à bien des égards un effort très intéressant du maître. Hitchcock y poursuit ses expérimentations sur les longs plans séquence, dans la lignée de ce qu’il avait fait sur La Corde juste avant. Cela dit, le cinéaste ne s’est pas autant enfermé dans le dispositif. Il n’a pas cherché le pari artistique malin mais davantage à incorporer ses possibilités testées dans sa réalisation. Et le résultat est fascinant. Outre le fait d’être un superbe drame romanesque porté par d’immenses comédiens (le duo Ingrid Bergman et Joseph Cotten), Les Amants du Capricorne est une petite merveille de mise en scène maîtrisée. Hitchcock dira que c’est le film qu’il aime le moins dans sa longue filmographie. Mais beaucoup parleront et parlent encore de chef d’œuvre méconnu. Et c’est une expression qui convient bien à ce film maudit qui brille sur des points assez éloignés de la patte hitchcockienne devenue si célèbre. Le metteur en scène quitte le thriller à suspens ou l’espionnage et s’essaie à autre chose, injectant beaucoup plus de sensibilité et d’émotion dans une œuvre qui tord le cou aux codes du genre. Sous l’œil de sa caméra, le drame sentimental devient autre chose que les nombreux mélos mielleux qui pullulaient à l’époque. Le rythme n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui explique sans doute le désamour d’Hitchcock pour ce film, lui qui a toujours été obsédé par le « rythme », mais au-delà de ses imperfections, ce classique qui n’en est tristement pas devenu un, est à redécouvrir de toute urgence ! Surtout sur grand écran et en version restaurée, ce qui permet à la splendeur de son technicolor d’exploser totalement.
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TIME AND TIDE
De Tsui Hark – (2001)
Genre : Action – Hong Kong
Avec : Nicholas Tse, Cathy Chui, Wu Bai…
Disponible en Blu-ray Édition Prestige le 06 mars 2019
Synopsis : A Hong Kong, la brève rencontre entre Tyler, un jeune homme habitué aux dangers de la rue, et Jo, une femme policier infiltrée, ne sera pas sans conséquence : celle-ci tombe enceinte. Afin de gagner de l’argent rapidement, Tyler devient garde du corps.
Au service de Hong, le chef d’une puissante triade, il s’associe avec Jack, un ancien mercenaire décidé à entamer une nouvelle vie avec Hui, la fille de Hong, qu’il vient d’épouser et qui attend un enfant de lui. Ensemble, Tyler et Jack parviennent à déjouer une tentative d’assassinat dirigée contre leur employeur, mais leur collaboration va être de courte durée. De complots en guets-apens, d’intérêts opposés en trahisons, ils vont se retrouver opposés et entraînés vers une confrontation mortelle.
Dans les 90, le génie de Tsui Hark était reconnu mondialement, que ce soit pour son immense travail dans les années 80 (le chef d’œuvre Il Était une Fois en Chine entre autres), pour ses expérimentations dingues dans les 90’s (Green Snake) ou pour les fulgurances dont il est capable à son meilleur (The Blade). Le réalisateur cède alors aux appels d’Hollywood. C’est le triste chapitre Double Team puis Piège à Hong Kong. Deux naufrages sympathiques mais naufrages quand même. Dégouté par un système de production qui ne lui convient pas, Tsui Hark revient alors à Hong Kong et laisse exploser sa colère artistique qui se traduira par une créativité sidérante. En 2001, le réalisateur livre Time and Tide. Tsui Hark est de retour aux affaires, ce thriller d’action est parmi ses meilleurs de cette période, voire de sa carrière. En fait, si on devait le décrire, on pourrait dire qu’il y a tout Tsui Hark dans cette production frappadingue. Il y a du rythme, il y a de l’action, il y a de la générosité et il y a des expérimentations visuelles démentes et il y a ce parfait alliage entre recherche de nouvelles façon de filmer et pur divertissement qui régale. Esthétiquement magistral et d’une intensité redoutable, Time and Tide nous explose les yeux à chaque instant. Tsui Hark nous balance sans ménagement dans son monde et se métamorphose en lave-linge, prêt à nous remuer dans tous les sens avec une proposition qui est autant un thriller d’action qu’un polar urbain voire une comédie décalée. A l’arrivée, une œuvre qui se confronte au chaos, une œuvre qui nous confronte au chaos. Et dans ce même chaos, le génie de Tsui Hark s’érige en phare éclairant. Désentravé des contraintes que vient de lui imposer le tueur Hollywood, le cinéaste devient fou, avide d’innovations, avide de rythme, avide de cinéma. Time and Tide n’obéit qu’à sa propre logique et s’il est parfois incompréhensible, c’est parce qu’il aime ce what the fuck débridé où il fait naître sa démence cinématographique la plus jouissive. Quel pied !
Et grâce à Carlotta, on est reparti pour un tour. L’éditeur nous a concocté une édition prestige magistrale avec le film en haute définition, et pour la première fois au monde en Blu-ray ! Pour l’accompagner, un bon petit lot de suppléments. Les commentaires audios (passionnants) de Tsui Hark, une petite tribune donnée au Youtubeur Karim Debbache qui parle de son amour pour Hark et pour ce film, un entretien avec Charles Tesson qui revient sur la carrière du génie hongkongais, et un autre avec les très légitimes Laurent Carbon et Laurent Courtiaud, duo de scénaristes qui ont longtemps bossé à Hong Kong (sur l’excellent Running out of time ou Black Mask 2). Tout ça, plus un fac-similié du dossier de presse de l’époque, des cartes du film et un livret de 28 pages. Que du bonheur ! Et ne traînez pas, l’édition est limitée à 3000 exemplaires !!
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JACQUES RIVETTE LA FICTION AU POUVOIR
De Jacques Rivette – 1976 et 1978
Genre : Drames – France
Sortie en Blu-ray collector le 20 février 2019
Après Hitchcock et Tsui Hark, on change radicalement de registre pour évoquer Jacques Rivette. Oui, rien à voir. Mais c’est ça qui est beau avec le cinéma, passer d’univers en univers, de registre en registre, de style en style, de film en film. Toujours dans un souci de diversité vertigineuse, Carlotta Films met à l’honneur Tsui Hark aujourd’hui, après avoir mis en valeur Rivette hier. La Fiction au Pouvoir est un beau coffret de trois films disponible depuis le 20 février dernier et réunissant Duelle, Noroît et Merr-Go-Round, trois classiques du cinéaste sortis entre 1976 et 1978, et qui forment ensemble une trilogie (pensée à la base comme une tétralogie mais un ne se fera pas) qualifiée comme « des parenthèses enchantées dans un contexte sociopolitique désillusionné après l’euphorie de Mai 68« . La phrase était si belle qu’elle méritait d’être reprise. Dans Duelle, Rivette évoluait aux contours du film noir mystérieux où le réel et mêle à l’imaginaire. En revoyant le film, impossible de ne pas penser à David Lynch. Dans Noroît, l’un de ses meilleurs efforts des 70’s, il verse vers le psychédélique et s’inscrit cette fois à la croisée du film de pirates et du thriller à tendance giallesque. Un film hyper original dans la carrière de Rivette, violent, sensuel, et magnifiquement porté par le duo Geraldine Chaplin et Bernadette Laffont. Enfin, Merry-Go-Round, tourné deux ans plus tard, qui s’apparente davantage au policier voire au film d’espionnage trépidant. Ces trois œuvres phares de l’un des pilliers de la Nouvelle Vague sont à redécouvrir en haute définition dans un beau coffret largement soutenu par une nuée de suppléments. Des entretiens avec Jacques Rivette, avec Bulle Ogier et Hermine Karagheuz et avec Stéphane Tchal Gadjieff (producteur de Rivette dans les années 70) qui revient sur le film n°3 de la tétralogie avortée, ce fameux Histoire de Marie et Julien qui ne s’est pas fait.
Synopsis de Duelle : Viva et Leni, filles du Soleil et de la Lune, convoitent toutes deux une pierre magique qui leur permettrait de rester sur Terre, perdant par là leur immortalité. Pour cela, elles vont s’affronter dans Paris, entraînant plusieurs humains dans leur lutte : Lucie, réceptionniste dans un hôtel, son frère Pierre, acrobate, et Elsa/Jeanne, ticket-girl dans un dancing…
Synopsis de Noroît : Éffondrée, Morag découvre le corps sans vie de son frère Shane sur une plage et jure de venger sa mort. Celui-ci a été tué par la terrible Giulia qui règne d’une main de fer sur une bande de pirates habitant le château de l’île. Morag engage son amie Erika pour espionner la troupe avant de se faire elle-même recruter comme garde du corps de la chef des pirates…
Synopsis de Merry-Go-Round : Un homme et une femme se rencontrent dans un hôtel près de l’aéroport de Roissy car ils ont tous deux reçu un télégramme d’une certaine Elisabeth les conviant à ce mystérieux rendez-vous. Ils font connaissance : l’Américain Ben est un ami de la jeune femme tandis que Léo n’est autre que sa soeur cadette. Sans nouvelles d’Elisabeth, Ben et Léo vont partir à sa recherche. Mais lorsqu’ils la retrouvent enfin, celle-ci se fait kidnapper sous leurs yeux…
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Par Nicolas Rieux