[Note spectateurs]
Carte d’identité :
Nom : Thelma
Père : Joachim Trier
Date de naissance : 2017
Majorité : 22 novembre 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : Norvège, Danemark
Taille : 1h56 / Poids : NC
Genre : Drame, Fantastique
Livret de famille : Eili Harboe, Okay Kaya, Ellen Dorrit Petersen…
Signes particuliers : Le film fantastique de l’année !
DU CINEMA FANTASTIQUE INTELLIGENT
LA CRITIQUE DE THELMA
Résumé : Thelma, une jeune et timide étudiante, vient de quitter la maison de ses très dévots parents, située sur la côte ouest de Norvège, pour aller étudier dans une université d’Oslo. Là, elle se sent irrésistiblement et secrètement attirée par la très belle Anja. Tout semble se passer plutôt bien mais elle fait un jour à la bibliothèque une crise d’épilepsie d’une violence inouïe. Peu à peu, Thelma se sent submergée par l’intensité de ses sentiments pour Anja, qu’elle n’ose avouer – pas même à elle-même, et devient la proie de crises de plus en plus fréquentes et paroxystiques. Il devient bientôt évident que ces attaques sont en réalité le symptôme de facultés surnaturelles et dangereuses. Thelma se retrouve alors confrontée à son passé, lourd des tragiques implications de ces pouvoirs…
Il y a plusieurs façons d’envisager le cinéma fantastique. On peut l’approcher, comme bien trop souvent aujourd’hui, pour en tirer des productions pseudo-horrifiques débilitantes destinées à faire frissonner les pré-ados en recyclant des recettes codifiées à l’extrême, ou on peut tenter d’orchestrer quelque-chose qui soit à la fois efficace et intelligent. Tout ce qu’est Thelma, drame fantastique captivant, capable de séquences de pure tension magistrales, et dans le même temps d’opérer sur plusieurs niveaux de lectures, du premier simplement fonctionnel au second, métaphorique et permettant de relire l’histoire sous un angle plus sérieux, plus réel et plus existentiel.
Dans Thelma, les pouvoirs surnaturels sont l’expression de désirs ou sentiments refoulés qui surgissent dans la réalité en débordant du réceptacle de l’inconscient où ils étaient retenus prisonniers par une éducation élaborée en réaction à des particularités. Sorte de croisement entre Carrie et Morse, le premier pour ses thématiques et le second pour la façon de faire, croisant l’anti-conte initiatique et la chronique adolescente, Thelma utilise le genre pour parler du passage de l’adolescence à l’âge adulte, de l’éveil de la sexualité, du refoulement de la différence par peur de l’assumer, des dangers d’une éducation dogmatique. Autant de sujets abordés avec une extraordinaire cohérence, fondus harmonieusement dans un récit évoluant avec la grâce d’un coup de maître implacable et imparable. Remarquable conteur et fin metteur en scène, Joachim Trier fait preuve d’un formidable sens de l’expression cinématographique et élabore un film qui peut compter tant sur sa créativité visuelle que sur son formalisme léché, sur sa puissance émotionnelle comme sa maîtrise du suspens, mais aussi sur l’adresse de son scénario intelligemment élaboré, la subtilité avec laquelle il le traduit, ou la qualité de son interprétation (excellente Eili Harboe).
Décevant avec Back Home, son précédent long-métrage qui avait fait suite au sensible Oslo, 31 Août, le réalisateur signe là son meilleur effort, et probablement l’un des meilleurs films fantastique que l’on ait pu voir depuis un bout de temps. Thelma brille par sa faculté à entremêler l’humain et le surnaturel, à agencer le terrifiant et le symbolique, à divertir de manière intense tout en envoûtant par son onirisme troublant, obsédant et inquiétant.
Hommage inconscient ou inspiration directe, Joachim Trier marche sur les pas d’un lointain et illustre compatriote qui n’avait pas son pareil pour flirter avec ce genre de fantastique onirique qui s’invitait dans la réalité de personnages déstabilisés : Carl Theodor Dreyer. La comparaison est très flatteuse, mais force est de reconnaître que le jeune réalisateur en appelle à ce même surnaturel psychologique représentant un jaillissement incontrôlé du refoulé dans ce qui peut s’apparenter à un cauchemar terriblement magnifique, angoissant, fascinant, cathartique, sensuel. Fort, ingénieux et bouleversant, Thelma mélange l’effrayant et le tragique face à l’impuissance de cette héroïne malheureuse incapable de contrôler les manifestations de son subconscient. Une humble claque.
Par Nicolas Rieux