Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : The Servant
Père : Joseph Losey
Date de naissance : 1963
Majorité : 28 janvier 2015
Type : Sortie en DVD, Blu-ray
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h45 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Dirk Bogarde (Hugo Barrett), Sarah Miles (Vera), James Fox (Tony), Wendy Craig (Susan), Catherine Lacey (Lady Mounset), Richard Vernon (Lord Mounset)…
Signes particuliers : Non seulement le chef d’oeuvre de Joseph Losey, mais aussi l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma.
LA LUTTE PSYCHOLOGIQUE DES CLASSES
LA CRITIQUE
Résumé : A Londres, Tony, un aristocrate jeune et brillant, vivant dans une luxueuse demeure du XVIIIè siècle, engage Hugo Barrett comme domestique. Ce dernier se révèle être un valet modèle, travailleur et intelligent. Mais Susan, la fiancée de Tony, n’apprécie pas le comportement de Barrett, lui trouvant quelque chose de malsain…L’INTRO :
Fruit d’une éducation puritaine, obscurantiste et marquée par une prédominance d’un religieux dogmatique et étouffant, Joseph Losey aura vécu comme un exutoire une carrière cinématographique passionnante où ses frustrations ont volé en éclats dans un cinéma au parfum de soufre. Un cinéma marqué par l’irrévérence, l’impertinence intelligente, l’avant-gardisme, par des thématiques torturées alors passées sous silence par le cinéma traditionnel de son temps. Plus que tout autre, Joseph Losey se sera fait un spécialiste de la confrontation aux facettes les plus sombres de l’être humain, sa vulnérabilité, sa dégradation, ses pulsions, sa violence physique ou émotionnelle, ses tortures psychologiques ou sexuelles, généralement soulevées par des personnages fascinants et troublants. Rien n’était ni blanc ni noir chez Joseph Losey, qui aimait évoluer entre les lignes, dans une riche palette de gris. Cinéaste américain majeur dont le meilleur de la carrière se sera fait en Angleterre ou en Italie, lui le « coco » dans le viseur du gouvernement américain. Ses grandes œuvres sont légions, de La Bête s’éveille à Les Damnés, de Accident à Monsieur Klein. Au centre d’une filmographie extraordinaire, The Servant, sans doute son plus grand chef d’œuvre, tourné en 1963 avec Dirk Bogarde, James Fox et Sarah Miles sur la base d’un scénario élaboré par Harold Pinter à partir d’un roman de Robin Maugham. Un film qui ressort aujourd’hui en Blu-ray dans une version restaurée, sous la bannière StudioCanal.L’AVIS :
The Servant, ou la quintessence ultime du drame psychologique effrayant et déroutant, sur l’aliénation, la frustration, sur les rapports de pouvoir dominant à dominé, sur les rapports sociétaux inversés, sur la manipulation ou la perversion. Brillant à tous les niveaux de son élaboration, de son interprétation chargée en émotion et en puissance (l’un des plus grands rôles de Dirk Bogarde) à sa mise en scène virtuose où chaque plan est pensé dans la logique des thématiques abordées par le film, avec ses cadrages alambiqués soulignant la torsion des esprits en présence, The Servant s’impose à chaque minute comme l’une des œuvres les plus virtuoses de l’histoire du cinéma.Privé de repères et aspiré dans le vortex d’un drame complexe aussi dérangeant que mystérieux, le spectateur est témoin d’un duel psychologique alliant malsain et maestria de l’étude du genre humain, comme rarement le cinéma a pu nous en offrir. L’élégance formelle de The Servant n’a d’égale que la richesse de son histoire tragique flirtant avec la lisière du fantastique. L’intelligence de Losey est de ne pas jamais appuyer quoique ce soit, de ne jamais imposer quoique ce soit, d’appliquer à son joyau une étourdissante densité reléguant la simplicité didactique en arrière-plan au profit de l’obscur, de la finesse, de l’inquiétant, du glissement progressif. Les sentiments, les attitudes et les personnalités identitaires qui évoluent, ne s’en trouvent que plus fortes, plus dures, plus râpeuses, alors que la banalité devient le théâtre des signaux d’une horreur humaine sous-jacente angoissante. Sur fond de discrètes touches glacées de sadomasochisme, de soumission voire d’homosexualité, The Servant illustre l’éternelle lutte des classes d’une façon totalement inédite et brillante en réduisant les êtres à néant, écrasés par leurs propres pulsions de violences sulfureuses. Le film parfait de Losey.
LE TEST BLU-RAY
Sorti au cinéma en France il y a 50 ans, The Servant ressort aujourd’hui en Blu-ray dans le cadre de la collection des classiques remastérisés sous le patronage de StudioCanal. Une édition à la hauteur du chef d’œuvre qu’elle renferme. Fort d’un travail de restauration sublime qui offre au film une netteté d’image exceptionnelle, The Servant bénéficie d’une remasterisation magnifique où son formalisme virtuose s’en trouve grandi, au-delà de quelques (rares) passages où la profondeur du noir et blanc manque un peu de contraste (essentiellement où tout début du film).
Côté bonus, cette édition quasi-anniversaire propose un océan d’entretiens à faire pâlir les cinéphiles, pour tout savoir de Joseph Losey, d’Harold Pinter, du film. Des bonus qui s’ouvrent sur un entretien avec le comédien James Fox, mené par un autre comédien britannique, le cinéphile Richard Ayoade. Suivent des entretiens avec les membres du casting encore en vie, en l’occurrence les actrices Wendy Craig et Sarah Miles, puis une interview du producteur-réalisateur britannique Stephen Woolley, qui évoque le film. A l’instar du Blu-Ray de Accident, on retrouve également des interviews de spécialistes évoquant le film et ses auteurs. Harry Burton (réalisateur d’un documentaire sur Pinter pour Channel 4) parle de Pinter, John Coldstream (biographe officiel de Dirk Bogarde) évoque le comédien. Aussi, une interview audio du chef opérateur Douglas Slocombe réalisée en 2012, et qui évoque son travail sur le film.
Tout cela est déjà bien riche et pourtant, le meilleur reste à venir. Deux interview de Joseph Losey lui-même ! D’abord, une archive rarissime du metteur en scène interviewé dans le cadre du Festival du Film de New York, puis un second entretien, d’époque, où le cinéaste évoque le projet, sa naissance, la censure… Et parce que The Servant, c’est Losey mais aussi Pinter, tout cela se termine sur une interview de Harold Pinter ! La boucle est bouclée, tout est là, le cinéphile est heureux et cette édition est par-fai-te, avec sa petite galerie photo et sa bande-annonce.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux