THE KILLER de David Fincher : la critique du film [Netflix]

David Fincher et Netflix, l’histoire continue. Le cinéaste a signé un contrat d’exclusivité avec la plateforme pour 4 ans (il prendra justement fin en 2024). Sa collaboration fructueuse aura abouti sur la série Mindhunter et les films Mank puis ce nouveau The Killer, que Fincher avait initié avec Paramount et Plan B (la boîte de Brad Pitt) en 2007 et qui s’est décanté en 2021 grâce à Netflix. A ne pas confondre avec le futur remake du classique de John Woo par lui-même avec Omar Sy dans le rôle-titre, ce The Killer par le père de Fight Club suit le parcours vengeur d’un tueur à gage très méthodique (Michael Fassbender) en guerre avec ses employeurs après un contrat raté. Sur un scénario d’Andrew Kevin Walker, l’homme qui a écrit l’un de ses premiers chef-d’œuvre : l’immense Seven.

Quand on voit le perfectionnisme dingue du film, on ne peut s’empêcher de regretter de ne pas l’avoir vu dans des conditions optimales, en salles, sur grand écran, avec une puissance sonore rendant justice à l’incroyable travail accoustique effectué. Mais Fincher est très clair là-dessus. Aujourd’hui, Netflix est le meilleur endroit pour faire du cinéma quand on a une vision extrêmement affirmée. Car ils ne mégotent pas sur les moyens demandés, car ils font confiance aux cinéastes et à leurs univers, car ils ne pensent pas la création d’un point de vue « marketing », car ils laissent aux artistes les coudées franches et parce que le résultat est accessible au plus grand nombre. Pour Fincher, le cinéma à domicile est désormais une évidence -voire l’avenir- pour sauver le septième art d’un point de vue culturel car en gros, les salles vieilles et puantes n’attirent plus et les studios traditionnels brident la création par souci d’économie. Avec lui, on peut au moins reconnaître que le « cinéma de plateforme » gagne plusieurs échelons qualitatifs. Ça change des nombreux produits d’appel médiocres que Netflix et autres alignent à plus soif entre deux œuvres plus ou moins de qualité.

Le thriller et David Fincher, c’est une grande histoire d’amour qui dure depuis longtemps. Horreur, drame psychologique, policier ou romanesque, le cinéaste a travaillé le genre sous plusieurs formes tout au long de ses Seven, Fight Club, Zodiac ou Gone Girl. Pour The Killer, il s’empare d’une histoire d’ordinaire plutôt prisée par la série B d’action (Un Tueur pour Cible par exemple) pour aborder le thriller sous une dimension plus humaine, explorant ainsi les versants les plus noirs de l’âme humaine. En adaptant la BD de Matz et Jacamon, Fincher se glisse littéralement dans la psyché d’un tueur à gage, comment il pense, ce qu’il pense, comment il procède, ce qu’il voit et comment il le voit. Effrayant… et captivant.

Après un Mank qui était aussi brillant que décevant selon la perspective d’approche, David Fincher rappelle l’immense cinéaste qu’il est. Peut-être l’un des plus fascinants de sa génération. D’un arc narratif extrêmement simple (un tueur à gage en croisade vengeresse), Fincher déploie une odyssée passionnante dans un cerveau complexe… qui explique lui-même toute sa complexité. Soutenu par la voix off analytique, voire psychanalytique, d’un anti-héros qui nous ouvre les portes de son mental, The Killer est une glaciale confrontation avec un personnage angoissant, mais que Fincher parvient à sonder avec humanité.

Véritable leçon de cinéma, tant dans l’écriture que dans la mise en scène, The Killer fait simple pour exprimer du compliqué. Comprenez par là que l’écriture est d’une telle pureté, qu’elle détaille beaucoup de choses racontées à travers une intrigue basiquement très linéaire. On connaissait déjà toute la maîtrise et la virtuosité de David Fincher, le metteur en scène les a déjà affichées mainte et mainte fois. Il s’en sert aujourd’hui au service d’un long-métrage plus radical que ses précédents efforts, un film pensé comme une oxymore cinématographique : narrativement épuré a l’extrême mais pourtant d’une densité étourdissante. Revendiquant des inspirations allant d’Hitchcock à Melville (voguent en tête des films comme Fenêtre sur Cour, Psychose ou Le Samouraï), The Killer ne passe loin de l’énième chef-d’œuvre fincherien. On est autant abasourdi par la précision d’une mise en scène au cordeau que par un sens aiguisé du montage visuel et sonore, par l’interprétation intense de Michael Fassbender ou la densité des pensées de ce tueur dont on pénètre l’esprit ultra-contrôlé en suivant ses réflexions sur l’existence et l’humanité. Et les thèmes chers à Fincher de se dessiner en filigrane, la déshumanisation de la société, la noirceur humaine, la solitude, le rejet de la médiocrité, l’obsessivité et la perversion, la mort de l’idéalisation et la destruction des idéaux…