Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Night of the Demon
Père : Jacques Tourneur
Livret de famille : Dana Andrews (John Holden), Peggy Cummins (Joanna), Niall MacGinnis (Dr Karswell), Maurice Denham (Henry Harrington), Athene Seyler (Mme Karswell), Liam Redmond (Mark), Reginald Beckwith (M. Meek)…
Date de naissance : 1957
Majorité au : 27 novembre 2013 (en DVD/Blu-ray chez Wild Side)
Nationalité : Angleterre
Taille : 1h35
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : L’autre chef d’oeuvre d’épouvante de Jacques Tourneur aux côtés de La féline. Un film trop souvent oublié et inédit à ce jour, mais à l’aura pourtant intacte par son étourdissante modernité, sa virtuosité stylistique et la richesse de sa narration sans cesse alimentée en nouvelles pistes à explorer. Une merveille de fantastique gothico-mystique en avance sur son temps et exploitant à la perfection l’ambiance inquiétante de la ténébreuse Angleterre, quelque-part entre Murnau et l’âge d’or de la Hammer.
Signes particuliers (-) : x
UN RENDEZ-VOUS À NE PAS MANQUER !
Résumé : Le professeur Harrington trouve la mort dans de mystérieuses circonstances après avoir publiquement accusé le docteur Karswell, spécialiste en sciences occultes, de charlatanisme. Un confrère de la victime, l’éminent savant américain John Holden, enquête sur sa disparition. Lorsqu’il rencontre Karswell, celui-ci tente de l’effrayer : il ne lui resterait que 3 jours à vivre…
C’est une étonnante injustice qui vient d’être réparée grâce aux éditions vidéo Wild Side. Le chef d’œuvre toujours inédit chez nous de Jacques Tourneur Rendez-vous avec la Peur, va enfin avoir droit à une distribution en blu-ray et dvd. Les amateurs de cinéma de genre vont enfin pouvoir (re)découvrir cette pépite mésestimée et ça mérite un grand merci adressé à ces archéologues du cinéma pour ce beau pré-cadeau de Noël !
Réalisé au beau milieu de la riche carrière américaine de Jacques Tourneur en 1957, Rendez-vous avec la Peur (alias Night of the Demon en VO dans le texte) est une escapade du metteur en scène dans les sombres contrées de la ténébreuse Angleterre où il s’exilera le temps d’un film d’épouvante particulièrement flippant, convoquant créatures, malédictions, sorcellerie et démonologie. Si ses incursions dans l’horreur et le fantastique n’ont pas été aussi nombreuses qu’on ne veut bien le croire, Jacques Tourneur pourrait pourtant aisément prétendre, s’il vivait encore aujourd’hui, au néo-statut popularisé par l’anthologie éponyme, de « master of horror ». Car la poignée de films de genre qu’il a réalisé au cours de ses 35 ans d’activité sont autant de must dont certains resteront ad vitam eternam au panthéon des œuvres phares tant du registre que du cinéma en général. La Féline et Vaudou (ou dans une moindre mesure L’homme-léopard) attestent du talent, dès qu’il s’agit de convoquer la peur, de l’une des plus grandes étoiles françaises à avoir illuminé (et terrifié) Hollywood. Sur la base d’un dense récit à mystères porté par Dana Andrews et Peggy Cummings, Rendez-vous avec la Peur nous invite à un troublant voyage cauchemardesque dont l’intrigue resserrée sur seulement quelques jours, va mettre en opposition un américain cartésien spécialisé dans la parapsychologie et des légendes surnaturelles issues de la très vieille et superstitieuse Grande-Bretagne.
Ce n’est pas un hasard si Rendez-vous avec la Peur est un film d’épouvante britannique. En 1957, le cinéma anglais était alors marqué par l’âge d’or d’une Hammer retrouvée et qui venait de renaître de ses cendres. De son côté, le style de Tourneur, dont l’aura brille toujours sur le genre depuis La Féline, avait toutes les caractéristiques requises pour coller au cinéma du vieux continent, sa façon de privilégier la terreur sourde et cachée à l’explicite éventé, collant parfaitement aux codes de la peur alors en vogue en Angleterre. Sous la bannière du producteur Hal Chester, un ancien acteur avec lequel le cinéaste entrera au passage en conflit, Jacques Tourneur réalisera donc un film qui aurait pu être une production Hammer mais qui est en réalité l’une de ses plus belles alternatives, puisant chez elle le meilleur de ce qu’elle recelait pour le croiser avec le meilleur d’une multitude d’inspirations diverses menant dans son aboutissement, à un classique magistral se classant parmi les plus grandes œuvres de genre jamais faite dans l’histoire du cinéma. Et ironiquement tellement méconnue…
Rendez-vous avec la Peur marche autant sur les traces du cinéma de la firme légendaire, qu’il ne convoque Hitchcock ou Murnau (on pense par exemple au Golem) voire l’expressionisme allemand en général. Mais surtout, cette œuvre à la fois baroque et gothique s’inscrit dans la pure tradition du cinéma de Tourneur. Ou comment faire naître la peur à partir de rien, à partir d’une ambiance, à partir de détails, à partir d’un récit ingénieux suffisamment fort pour se passer de montrer, jouant seulement la carte de la suggestion fantastique tétanisante. Tout le génie de La Féline est de nouveau invité dans un film qui s’engage dans les mêmes sentiers bordés de formes angoissantes. Seule scène contradictoire, l’introduction voyant le monstre démoniaque du film apparaître dès le début dans un effet spectaculaire (et surtout extrêmement réussi). Une séquence qui ne relève pas du propre chef du metteur en scène qui s’opposa à cette idée imposée par son producteur sans malheureusement, avoir gain de cause. Toutefois, elle ne remet nullement en question la qualité du résultat qui garde en lui une puissance terrifiante totalement démente. Car Rendez-vous avec la Peur impressionne par tellement d’aspects façonnant sa perfection.
Saisissant de modernité à la fois narrative et visuelle, Rendez-vous avec la Peur est un met de luxe pour cinéphiles. Que ce soit dans la splendeur de ses rares mais ingénieux effets spéciaux utilisés avec parcimonie, dans sa mise en scène qui use intelligemment de ses cadrages, de ses décors et du futur concept du jump-scare pour matérialiser la peur à chaque instant, ou pour sa construction scénaristique brillante dans sa façon de développer son suspens, ce Tourneur-là fait preuve d’un génie totalement déboussolant. Tiré d’une nouvelle de Montague Rhodes James transposée à quatre mains par le producteur Hal Chester et Charles Bennett, Rendez-vous avec la Peur épate par l’intensité de son histoire qui ne tourne jamais à vide grâce à la richesse d’un récit sans cesse nourrit par de nouvelles idées, thématiques ou rebondissements lui permettant de ricocher avec dynamisme d’une séquence à l’autre, de telle sorte que les 95 minutes du film défilent sans que l’on n’ait à aucun moment la sensation de les voir s’écouler grâce à un sens du rythme prodigieusement employé à développer une intrigue concise et condensée. Confrontation idéologique entre esprits cartésiens et crédules, entre rationalisme scientifique et surnaturel légendaire, déploiement de mystères lançant une enquête à suspens, installation d’une terreur tapie dans l’ombre à couper le souffle, introduction en cours de route de nouvelles pistes source d’angoisse (la mort du héros annoncée), spiritisme, démonologie… Les enjeux dramatiques sont sans cesse alimentés de sorte à ce que le film paraisse multiple et trépidant. Et c’est le cas. Rendez-vous avec la Peur est un modèle de densité agrippant le spectateur pou ne plus le lâcher pendant 1h30.
DVD et Blu-ray : Rien à redire sur la double-édition proposée par Wild Side. Si l’on pouvait nourrir quelques inquiétude sur la qualité du DVD d’autant que le film joue énormément sur les clair-obscurs et l’élégante photo d’Edward Scaife, le résultat est à se damner. Image magnifique et superbement étalonnée, son parfaitement retravaillé, Rendez-vous avec la Peur trouve avec cette « première » en vidéo, une édition impeccable qui rend idéalement toute sa richesse plastique. Bien entendu, on ne pourra que conseiller cela étant dit, le blu-ray collector incluant, outre un livre amplement illustré de Michael Henry Wilson sur le tournage et le DVD, les deux versions du métrage, d’un côté l’anglaise (95 minutes) et de l’autre l’américaine (82 minutes). Une pièce indispensable à toute étagère de cinéphile qui se respecte !
Un extrait montrant le travail de restauration :
Par Nicolas Rieux