Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Pieta
Père : Kim Ki-Duk
Livret de famille : Lee Jung-Jin (Kang-Do), Min-soo Jo (Mi-Sun), Ki-Hong Woo (Hoon-chul)…
Date de naissance : 2012
Majorité au cinéma : 10 avril 2013
Nationalité : Corée du Sud
Taille : 1h44
Poids : 200.000 $
Signes particuliers (+) : Pieta ne manque pas d’idées dans l’association pleine de symbolisme qu’il fait entre le drame intimiste et le pamphlet sur la crise sociale et économique. Kim Ki-Duk a encore beaucoup de choses à dire et beaucoup de poigne dans l’expression de son cinéma. Un violent et meurtri.
Signes particuliers (-) : La maîtrise formelle habituelle n’y est pas, pas plus que la finesse et la poésie mélancolique qui caractérise son cinéma. Pieta est plus gratuit, plus excessif et poussif, pas loin d’une plantage total d’un auteur à court de souffle.
NOIR COMME LE SOUVENIR
Résumé : Kang-Do est un solitaire sans famille ni ami. Il travaille comme recouvreur de dette et fait preuve d’une violence et d’une absence de compassion terrible. Jusqu’au jour où une femme qui se dit être sa mère qui l’a abandonnée à la naissance, surgit dans sa vie en implorant son pardon, prête à tout pour le gagner…
La dernière œuvre du passionnant cinéaste coréen Kim Ki-Duk est sortie chez nous dans l’indifférence générale au mois d’avril dernier. Pourtant, avec Pieta, le cinéaste a tout de même décroché rien de moins que le Lion d’Or à la dernière Mostra de Venise en plus d’avoir concouru pour représenter la Corée aux Oscars. Il faut dire que Kim Ki-Duk a sérieusement accéléré son rythme de tournage ces temps-ci au point que c’est devenu difficile de le suivre. Pieta est son troisième film en deux ans. Autre point, celui qui avait ce don de mettre son public à genoux par des œuvres souvent pessimistes mais desquelles se dégageait une forme de poésie sublime (Printemps Eté Automne Hiver et Printemps, Samaria, Locataires, L’Arc, Time, Souffle) accuse une baisse qualitative notable depuis quelques années. Dream en 2008 puis Arirang ou Amen en 2011 n’ont pas été très bien accueillis (les deux derniers n’étant même pas sortis en salles) et des questions ont commencé à s’élever sur une possible crise d’inspiration du cinéaste. Pieta, parabole religieuse dénonçant le fléau de l’omniprésence de l’argent dans nos sociétés, était l’occasion rêvée de se racheter auprès de ses fans.
Tourné avec un budget ridicule en peu de temps, avec peu de caméras et beaucoup d’improvisation, Pieta tourne autour d’un homme de main asocial et dénué d’émotions, s’occupant de récupérer auprès d’emprunteurs, l’argent et les intérêts attendus par des usuriers. Sans scrupule, sans compassion, sans pitié, Kang-do a été abandonné à la naissance par sa mère et par la vie et déchaîne la colère qu’il contient en lui sur ses victimes qu’il mutile. Quand une femme se présentant comme sa mère fait son apparition dans sa vie, c’est le début de l’ère du doute. Pour cette femme, c’est le début d’un long chemin de croix en espérant un pardon possible.
Sur le papier, Pieta a tout du grand film réfléchi, profond, symbolique, une œuvre fulgurante et figurative d’autant que toutes les thématiques du cinéma de Kim Ki-Duk y figurent : souffrance, amour, sacrifice, rédemption, mort, religion… Le cinéaste est parti de ce constat implacable que l’argent est au centre de tous les maux de nos sociétés actuelles, à plus forte raison en ces temps de mondialisation et de crise économique galopante. Il pousse l’homme à l’envie, la violence, l’aigreur, l’égoïsme, le tourment, la destruction, il est le principal moteur du chaos et de la souffrance. En croisant ces réflexions à la légendaire figure de la Pieta (la représentation de la vierge Marie tenant la dépouille de Jésus au pied de la Croix), Kim Ki-Duk va s’acharner à montrer que le seul salut de l’homme est lui-même. L’amour, l’entraide, les autres, sont l’échappatoire à ce système voué à péricliter, voué à courir droit vers l’implosion et le chaos. Et c’est quand on est à terre, que les bras d’autrui peuvent nous relever. Pessimiste le cinéma de Kim Ki-Duk ? Pas tant que ça finalement, Pieta pourrait même, d’une certaine manière, être vu comme un film optimiste malgré sa terrible noirceur apparente en ce sens qu’il est un récit de rédemption tragique.
On était habitué avec Kim Ki-Duk à un cinéma douloureux, frontal, éprouvant voire dévastateur. Avec Pieta, le metteur en scène repousse ses limites encore plus loin pour souligner la gravité de son propos. Dur, sombre, cruel, extrême, ce dix-huitième long-métrage du coréen est probablement son plus violent psychologiquement, un choc viscéral jouant de la surenchère pour mieux exposer l’horreur des failles sociétales qu’il dénonce. Malheureusement, la grâce n’est pas au rendez-vous. Il y avait auparavant une forme de poésie mélancolique dans le cinéma de Kim Ki-Duk. Celle-ci s’est atténuée depuis quelques films pour presque disparaître de ce Pieta, dont les dérives malsaines et perverses témoignent d’une forme d’impuissance à s’emparer de son sujet avec justesse. Le cinéaste choque, bouleverse, pousse dans ses retranchements avec complaisance là où auparavant, il avait ce talent fou pour magnifier ses sujets avec une finesse admirable. Kim Ki-Duk serait-il vidé ? On se pose la question devant un film fragile, maladroit, parfois lourd et outrancier, souvent sur-appuyé aussi bien visuellement que dans son symbolisme. Autrefois réalisateur caractérisé par sa délicatesse malgré la noirceur de ses sujets, l’auteur semble ne pas avoir su cette fois-ci comment transposer ses brillantes idées et tombe dans une sorte de grossièreté stylistique avec cette œuvre périe de bonnes intentions de fond mais plombée par ses excès et son démonstratif un peu vain.
Si l’on perçoit dans sa globalité, les fulgurances narratives de Pieta, le résultat truffé d’imprécisions de mise en scène (décadrages, zooms ou emprunt au dogme sont disséminés et sur-visibles, ne se fondant pas avec homogénéité dans le reste du métrage) sonne le déclin d’un artiste à bout de souffle. Aveuglé par le génie de son matériau, Kim Ki-Duk se perd dans ses velléités subversives en cherchant à renouer avec le cinéma de ses tout débuts et livre un film en demi-teinte, laissant un amer sentiment de grandeur ternie, de géniale parabole handicapée par sa folie mal canalisée, de puissant drame oedipien saturée d’excès artificiels au point de s’y empêtrer. Cette pulsion artistique rentre-dedans n’est pas mauvaise, loin de là, mais elle marque de son empreinte un cinéaste qui essaie de se retrouver par un film sur le chaos ambiant qui ère entre le repoussoir et le pamphlet brillant.
Bande-annonce :