Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Ah-ga-ssi
Père : Park Chan-wook
Date de naissance : 2015
Majorité : 05 octobre 2016
Type : Sortie en salles
Nationalité : Corée du Sud
Taille : 2h25 / Poids : NC
Genre : Drame, Thriller, Romance
Livret de famille : Kim Min-Hee, Kim Tae-ri, Jung-woo Ha, Cho Jin-woong…
Signes particuliers : Derrière les apparences, Park Chan-wook signe peut-être son film le plus fou à ce jour.
UN JEU MACHIAVÉLIQUE ET BRÛLANT
LA CRITIQUE
Résumé : Corée. Années 30, pendant la colonisation japonaise. Une jeune femme (Sookee) est engagée comme servante d’une riche japonaise (Hideko), vivant recluse dans un immense manoir sous la coupe d’un oncle tyrannique. Mais Sookee a un secret. Avec l’aide d’un escroc se faisant passer pour un comte japonais, ils ont d’autres plans pour Hideko…L’INTRO :
C’était l’un des temps forts du festival de Cannes 2016. Le cinéaste Park Chan-wook signait son grand retour sur la Croisette, douze ans après avoir marqué son histoire au fer rouge avec la bombe Old Boy, fabuleux Grand Prix 2004 et claque à la résonance internationale. Depuis, Cannes n’a jamais oublié le coréen fou, qui y était d’ailleurs revenu en 2009 pour Thrist – Ceci est mon Sang, lauréat ex-aequo du prix du Jury. Après une petite parenthèse américaine très réussie avec le thriller hitchcockien Stoker, Park Chan-wook s’en est retourné dans sa Corée natale pour y monter l’adaptation du roman Du Bout des Doigts signé Sarah Waters. Drame érotico-romantique teinté de thriller, Mademoiselle nous embarque dans la Corée des années 30, alors sous domination colonialiste nippone, et s’attache au parcours de Sookee, une jeune servante rattachée au service d’une riche famille japonaise vivant recluse dans un manoir austère. Mais Sookee, associé à un escroc notoire, a un plan criminel savamment orchestré. Et Mademoiselle de se lancer dans un jeu narratif viscéralement diabolique, prêt à nous prendre au piège de sa toile où se mêlent mensonges, manipulations destructrices et perversions malsaines.L’AVIS :
Même si tout un chacun aura son avis sur la question et même s’il sera assez facile d’établir une hiérarchie en son sein, le cinéma de Park Chan-wook affiche depuis ses débuts, une tenue d’une rare excellence. De Joint Security Area à Sympathy for Mr Vengeance en passant par Lady Vengeance, Old Boy ou Je Suis un Cyborg, chaque nouvelle œuvre du metteur en scène asiatique semble parvenir à séduire, plus ou moins dans une large mesure, et entend faire une vraie proposition de cinéma. Logiquement, Mademoiselle était très attendu. Trop peut-être, au point d’en avoir déçu certains. Il faut bien avouer que le résultat quasi-schizophrène a de quoi diviser, à la fois sommet virtuose et œuvre parfois boursoufflée, dont la folie a un petit quelque-chose de salvateur mais aussi de destructeur, qui tour à tour peut aussi bien sublimer ou esquinter sa beauté hallucinante et sa complexité géniale.
Construit sur un canevas segmenté en trois parties, Mademoiselle est de ces plaisirs cinématographiques que l’on savoure car ils surprennent, car il joue avec nous autant qu’avec son intrigue et les personnages qui l’incarnent. On se régale de ce jeu de miroir où rien n’est à prendre pour acquis, où tout n’est qu’apparences, où chaque parcelle du récit peut être nuancée voire détruite par la suivante, alors que l’histoire foncièrement retorse, peut être amenée à changer du tout au tout, selon le point de vue par lequel elle est contemplée. Car il n’y a jamais une vérité chez Park Chan-wook, mais des vérités qui s’entrechoquent avec perte et fracas. Une philosophie qui trouve sa plus pleine expression ici, avec ce nouvel effort caressant la naissance d’une histoire d’amitié, bouillonnant devant l’intensité d’une passion amoureuse saphique, puis horrifiant devant l’ampleur de la vilenie qui défigure l’écran. Diamant aux multiples facettes, Mademoiselle fascine par son atmosphère fiévreuse et érotisante, pousse à la jubilation par la démence de son écriture machiavélique ou sa construction astucieuse proposant une relecture de son intrigue sous trois angles différents en déstabilisant complètement un spectateur halluciné. Incandescent, aliénant, malin, étonnamment drôle, et surtout sans limites autres que celles qu’il décide de s’imposer (c’est à dire aucune), Mademoiselle est probablement l’un des films les plus « tarés » de cette édition cannoise 2016, une frasque impertinente, tantôt en fusion, tantôt en élégance, toujours stupéfiante, nourri par une poésie romanesque qui n’a d’égale, que sa violence morale ou physique.
En bon trublion déjanté qu’il est, Park Chan-wook aurait pu signer un parfait coup de maître si, par moments, il ne se laissait pas emporter par sa mégalomanie formelle l’amenant vers une sur-mise en scène parfois lardée d’effets à l’utilité discutable. Aussi, si son œuvre ne souffrait pas de quelques longueurs évidentes ou d’une certaine confusion née d’un effet pervers retournant le brio de son scénario rusé contre elle-même. La mécanique adoptée des trois parties revisitant à chaque fois l’histoire « autrement » passe par des transitions un peu déroutantes, le temps de raccrocher les wagons et de se remettre à niveau dans le fil narratif. Un contre-effet de la très haute ambition narrative orchestrée presque toujours de main de maître. Presque seulement. Mademoiselle n’est probablement pas le meilleur film de Park Chan-wook, en tout cas pas le plus subtilement maîtrisé. Mais l’air de rien, c’est peut-être son plus dingue, son plus audacieux et nul doute, son plus ambitieux. Et au passage, un hommage au Pinku eiga japonais, avec seulement une plus grande grâce dans la magnificence des corps qui s’enchevêtrent. Du grand art au-delà de quelques maladresses, et indéniablement, un film qui méritera d’être revu pour mieux en déceler toute la richesse orgasmique.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux