Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Les Petites Fugues
Père : Yves Yersin
Date de naissance : 1979
Majorité : 10 décembre 2014
Type : Ressortie en salles
Nationalité : Suisse, France
Taille : 2h10 / Poids : NC
Genre : Comédie dramatique
Livret de famille : Michel Robin (Pipe), Fred Personne (John), Mista Préchac (Rose), Laurent Sandoz (Alain), Nicole Vautier (Marianne), Léo Maillard (Stéphane), Fabienne Barraud (Françoise), Dore De Derosa (Luigi)…
Signes particuliers : Un trésor issu du très méconnu (et pourtant voisin) cinéma suisse. Exigeant, poétique, lent, magnifique…
UN MOMENT DE POÉSIE RURALE
LA CRITIQUE
Résumé : Pipe, valet de ferme, est maintenant à la retraite. Ayant gagné un appareil photo dans une fête, il s’enthousiasme pour la photographie et réalise un reportage sur les bouleversements progressifs de la ferme dans laquelle il avait travaillé pendant huit ans. L’INTRO :
Les Petites Fugues est une invitation cinéphilique à pénétrer dans l’histoire du très méconnu cinéma suisse, qui ne se résume pas seulement à Alain Tanner, Claude Goretta, le « Groupe 5 » ou Jean-Luc Godard (encore que ce dernier a surtout œuvré en France). En 1979, le documentariste expérimenté Yves Yersin signe Les Petites Fugues, son premier et unique long-métrage de fiction dans une carrière riche en films ethnographiques. Une comédie dramatique, doublée d’un bijou d’humanité, portée par Michel Robin, qui décrochera le Prix d’interprétation au Festival de Locarno, cette même année. L’AVIS :
Les Petites Fugues fait partie des joyaux du cinéma helvète. Un film en apesanteur hors du temps, à l’image de son histoire délicate prenant la direction d’une ferme typique dans le canton de Vaud, régie par la famille Duperrey. Le père, un patriarche bougon et autoritaire, la mère bienveillante si traditionnelle, la fille tiraillée par son désir de liberté rebelle, le fils à cheval entre les traditions et la volonté de se moderniser pour coller aux impératifs d’une nouvelle époque, le brave employé italien rouleur de mécanique et surtout, le vieux Pipe, valet de ferme depuis plus de trente ans, aujourd’hui usé par la vie et plein de rêves tardifs lorsqu’il s’offre un vélomoteur avec sa première retraite. Ce « vélau » comme il dit, sera le symbole incarné d’un poème sur le début d’une pérégrination personnelle initiatique pour ce vieil homme en fin de vie, lancé à travers les découvertes enrichissantes.
Derrière son aspect de film nonchalant, naturaliste et fait de « rien », Les Petites Fugues est une chronique rurale doucement burlesque, à sa manière, doucement crépusculaire, à sa manière, doucement plein de choses « à sa manière », qui lui confère une identité unique. Tendrement mélancolique par exemple, alors que la douceur est le moteur de son aventure humaine à la composition fragile, sensible, dramatique et drolatique. Autant de qualificatifs qui teintent la prestation fabuleuse d’un immense Michel Robin dans l’un de ses plus beaux rôles. Les Petites Fugues alterne séquences criantes de véracité sur le monde agricole dépeint avec une immense justesse, et scènes touchées par la grâce. Sous l’œil de ce bon vieux Pipe, l’histoire d’une évolution à la fois personnelle et universelle. Il découvre sur le tard la liberté, l’ivresse de la vie vécue, les rêves, alors qu’autour de lui, son ancestral milieu de toujours change, la société change, elle évolue, elle se transforme. Trop vite peut-être pour lui, le déraciné qui contemple d’un œil étonné cette métamorphose sonnant comme le glas d’une époque, de son époque. Les vieilles fermes d’antan cèdent leur place aux exploitations agricoles, l’agriculture traditionnelle s’étiole au profit du rendement économique, les machines remplacent les vieux outils, les réorganisations structurelles effacent les liens humains. Et Pipe le paysan est le témoin de ces bouleversements auxquels il essaie d’échapper en s’abandonnant à ses « petites fugues » motorisées qui lui ouvrent un monde nouveau.
Frappé par une intense délicatesse émouvante voire bouleversante, par un naturalisme magnifique sublimant sans excès un microcosme niché au milieu de paysages formant un cadre réduit à ciel-ouvert, et narré avec un œil d’une grande sensibilité envers un milieu pittoresque observé avec une belle acuité respectueuse, Les Petites Fugues allie un délicieux lyrisme poétique et une authenticité magistrale qui vient rappeler à quel point Yves Yersin était avant tout un brillant documentariste-ethnographe. Une chronique « dé-paysante », certes exigeante par sa lenteur, mais touchant les cœurs dans un abandon doux-amer d’une subtilité fascinante.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux