Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : La Vie d’Adèle
Père : Abdellatif Kechiche
Livret de famille : Léa Seydoux (Emma), Adèle Exarchopoulos (Adèle), Salim Kechiouche (Samir), Jérémie Laheurte (Thomas), Catherine Salée (mère d’Adèle), Aurélien Recoing (père d’Adèle), Mona Walravens (Lise)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 09 /10/13 (en salles) / 26 février 2014 (vidéo)
Nationalité : France
Taille : 2h59
Poids : 4 millions €
Signes particuliers (+) : Une ode à l’amour terriblement sublime, portrait sous toutes ses coutures de la passion intense et dévorante sondée au rythme d’un récit d’apprentissage des vicissitudes de la vie. Kechiche signe un magnifique moment de très grand cinéma romanesque et mélodramatique en visant la quintessence d’un art et de ce qu’il est capable de déployer en termes d’émotions brutes étourdissantes quand il est associé à une subtilité et une intelligence qui n’ont d’égale que sa richesse. Un immense metteur en scène virtuose de l’épure et de la simplicité charnelle et deux exceptionnelles comédiennes livrant leurs âmes sur l’autel du septième art, font de La Vie d’Adèle une œuvre tourbillonnante dont on ne ressort pas indemne et qui résonne encore dans les esprits longtemps après la fin de la séance.
Signes particuliers (-) : Par excès d’immersion à vouloir dévorer ses personnages et son sujet, Kechiche tombe parfois dans une forme de voyeurisme à la lisière du complaisant interrogateur, dont on retire autant de bien fascinant que d’étrange sensation de dérangeant. La marque d’un film qui étreint de l’intérieur où celle d’une œuvre manquant d’un brin de pudeur ? Le débat reste ouvert.
LÉA VIE D’ADÈLE
Résumé : Adolescente paumée, Adèle ne sait plus où elle en est. Elle essaie d’être comme les autres, d’aimer les garçons, de coucher avec mais un sentiment d’incomplétude est là, comme si le tableau manquait de quelque-chose. ce quelque-chose, elle va le trouver en rencontrant Emma, une jeune fille aux cheveux bleus. Entres elles, nait un amour passionnel qui va permettre à Adèle de s’affirmer et de se trouver…
Au placard les polémiques autour du film, les interviews acerbes, les réponses assassines par voie de presse et les coups bas minables, La Vie d’Adèle s’est payée post-Palme d’or à Cannes, la pire des promos possibles et imaginables mais maintenant : place au cinéma. Le nouveau « chef d’œuvre » proclamé d’Abdellatif Kechiche est enfin sorti en salles et certainement pas dans l’indifférence générale. Ah on peut dire qu’on en aura entendu parlé et pas dans le bon sens du terme. Et c’est bien dommage. L’histoire était pourtant si belle. Un cinéaste surdoué (auteur restant sur deux claques successives avec L’Esquive et La Graine et le Mulet) s’attaquant à un sujet en or massif et ancré dans les interrogations sociétales du moment (l’homosexualité) en recrutant deux actrices talentueuses et magnétiques (qu’on l’aime ou qu’on l’aime pas pour son passif ou sa popularité médiatique, Léa Seydoux a tout prouvé et est pétrie de talent) pour incarner une histoire d’amour follement passionnelle qui pulvérisera l’écran au point d’aller décrocher à l’unanimité une belle Palme d’Or cannoise. Et puis la salissure de l’art, les critiques, les attaques, les mauvaises interprétations, les incompréhensions, la prétention, la susceptibilité, les mesquineries, la méchanceté… La Vie d’Adèle était un film très attendu mais profondément marqué par des cicatrices béantes, résultats de mois à être trainé dans la boue. Aujourd’hui, la moche petite histoire laisse enfin place à la grande et on peut enfin juger du résultat artistique au lieu de s’épancher à plus soif sur médiatisation crassement inutile. Alors, La Vie d’Adèle, ça dit quoi ?
Adaptation d’un roman graphique intitulé Le bleu est une couleur chaude publié par Julie Maroh en 2010, La Vie d’Adèle est l’histoire de la trajectoire d’une jeune adolescente paumée, depuis ses premiers émois amoureux à son affirmation en tant que femme, au travers d’une histoire d’amour grand format. Cette Adèle du titre, c’est la jeune Adèle Exarchopoulos, comédienne encore « débutante » aperçue dans des films comme Les Enfants de Timpelbach de Nicolas Bary, Tête de Turc de Pascal Elbé ou La Rafle de Roselyne Bosch. La Vie d’Adèle parle aussi d’homosexualité au féminin mais finalement, comme le répète à qui veut l’entendre son réalisateur, cette thématique n’est pas le point central d’un film qui veut ne veut pas polémiquer sur la question mais seulement parler d’amour fort, d’amour destructeur, d’amour passion. C’est aussi un film très long, d’une durée peu commune au cinéma puisqu’il s’étale sur près de trois heures, d’où son titre comportant un « chapitre 1 et 2 » (le film avait été envisagé comme un diptyque au départ). Enfin, c’est un film à ne pas mettre entre toutes les mains en raison de sa crudité frontale, ses scènes de sexe intimes ayant pas mal fait jaser pour leur radicalité absolument non imagée.
Avec la sulfureuse réputation qu’il se traînait, on aurait presque envie de dire que maintenant, La Vie d’Adèle avait tout intérêt à confirmer son cortège de louanges et à être bon pour éviter de se payer un laconique « tout ça pour ça ». Fort heureusement, il ne déçoit pas, bien au contraire. Kechiche confirme (qu’on aime, ici aussi, le personnage ou pas) qu’il est clairement l’un des grands auteurs du cinéma français actuel, et l’on ne rentrera pas dans la guéguerre du « il est un metteur en scène atroce » ou « elle une mauvaise comédienne » car force est de constater qu’au final, tout le monde est doué dans cette affaire. D’un cinéaste qui accouche d’une œuvre puissante et d’une richesse palpable à un duo d’actrices éblouissantes qui mettent l’une comme l’autre du cœur à l’ouvrage pour interpréter avec talent leur personnage respectif. La Vie d’Adèle en vient du coup à nous rappeler Maurice Pialat ou Andrzej Zulawski, Stanley Kubrick ou Francis Ford Coppola, et c’est sans parler d’Hitchcock, autant de réalisateurs à la réputation tyrannique, qui ont martyrisé leurs comédiennes, qui ont fait vivre un véritable enfer à leurs équipes alors que l’épuisement physique et moral conditionnait leurs tournages, que leurs exigences dépassaient l’entendement, qu’ils étaient durs, sévères, terribles (voire fous) envers leurs collaborateurs. Sauf que, comme le rappelait Léa Seydoux dans l’interview initiale qui avait mis le feu aux poudres, de ces chaos artistiques aux accouchements douloureux naissaient des chefs d’œuvre. Dans quelques années, on dira peut-être la même chose de cette fabuleuse plongée violente émotionnellement parlant, dans le parcours évolutif d’une jeune adolescente en crise identitaire.
La Vie d’Adèle est une bouleversante histoire d’amour tragédiée, un film intense qui n’a pas de temporalité, pas d’aspérité (dans le bon sens du terme), pas d’emprise sur une époque, un film qui glisse hors du temps, hors du monde, hors du cadre filmique, hors de la fiction, un film qui vous agrippe, vous entraîne, vous séduit puis vous retourne avant de vous fracasser violement dans son maelström tourbillonnant fait de beauté, de sublime et de douleur terrible. Une pure et simple histoire d’amour avec tout ce qu’elle convoque de magique, de mystique, de puissance mais aussi de cruauté, de meurtrissure et de déchirement. Kechiche parvient à cerner avec une immense justesse toutes les composantes d’une flamboyante histoire, de la fascination pour l’autre à la crainte de l’abandon de soi, du coup de foudre incontrôlable au jeu de séduction joueur, du plaisir charnel à la fusion émotionnelle, de la proximité insondable à la peur et l’appréhension de la perte de l’autre, du partage aux différences, de l’intense au simple, de la magie à la folie, de l’attraction irrésistible à la distance en passant par le merveilleux, l’exaltation, la découverte, la poésie mais aussi le sombre, le torturé, le néfaste, la mise en danger de soi… Au rythme des sentiments qui se frottent, des antagonistes qui s’entrechoquent, des corps qui s’enlacent et de la passion brûlante à en irradier les yeux, La Vie d’Adèle est un époustouflant portrait de l’amour, de la vie, du cheminement personnel, doublé d’une invitation solennelle à pénétrer de façon totale dans un furieux moment d’émotions à fleur de peau qui ne laisse pas indemne. Le genre de cinéma radical et vertigineux qui s’abandonne complètement à son histoire, de la même manière que ses interprètes donnent toute leur âme à sa mise en image. Déboussolante, cette sublime et sensuelle histoire d’amour passionnelle ne se regarde pas, elle se vit. Une fois de plus, Kechiche fait dans l’œuvre coup-de-poing avec un film fleuve romanesque à la beauté fascinante, frissonnante et foudroyante, fait de réalisme, d’intelligence et de force vibrante captant le regard, le cœur et l’esprit dans une communion qui trouve la plénitude.
Le parcours de cette jeune Adèle est une illustration magnifique des vicissitudes et des turpitudes de la vie, des doutes intrinsèques aux rêves contrariés. Par elle et son cheminement intérieur, alors qu’elle se cherche, se trouve, se perd, se retrouve, c’est un ensemble plus vaste qui se dessine, celui de la trajectoire personnelle de la construction d’une vie qui s’égare face aux nombreuses directions possibles avant de trouver la voie qui lui conviendra. Et pardessus tout, trônant sur cette œuvre épicurienne tour à tour virevoltante et dramatique, une ode à l’amour fou enivrante. Kechiche raconte l’histoire d’un couple, quel qu’il soit. Un homme et une femme, deux femmes, deux hommes, qu’importe, la force des sentiments poignants reste la même, la beauté de ce qu’ils dégagent ne change pas et La Vie d’Adèle fonce sur les sentiers d’une simplicité à tomber pour étreindre son réel sujet et le magnifier dans toute sa splendeur grâce à une mise en scène habile, jouant avec talent entre le virtuose et l’épure selon les situations et les moments dépeints. Car pour donner vie à cette œuvre émotionnellement épique, il en fallait du talent. Et il se conjugue au pluriel. Kechiche fait un avec sa caméra pour dévorer l’espace, pour se placer au plus près de la chaleur des sentiments en fusion et nous immerge dans cet étourdissant tourbillon à l’humanisme redoutable et dévorant. Sous son objectif, Adèle Exarchopoulos se révèle, brille, se met à nu (dans tous les sens du terme) et fond comme un glacier en allant chercher tout au bout de ses forces une véracité de jeu qui transpire la sincérité alors que Léa Seydoux, la fille aux cheveux bleus, illumine de réponse au talent qui lui est confronté.
Le résultat donne un très grand film, pas exempt de quelques défauts, mais très grand quand même. On pourra notamment reprocher à Kechiche quelques fausses notes dans le voyeurisme complaisant avec quelques démonstrations de malhonnêteté dans sa façon de s’aventurer si loin, trop loin, via le regard d’une caméra pernicieuse qui décortique à outrance une intimité magnifique mais parfois pervertie à être scrutée ainsi avec un manque de pudeur qui, dans un sens renforce la tension charnelle érotisante de cette passion brûlante, mais lui accole dans un autre, une forme de « vulgarité » dérangeante alors qu’un voile posé eut pu avoir bien plus de sens qu’une telle imagerie très démonstrative. Mais au-delà de ces « non-maladresses » car autant de choix de mise en scène réfléchis, défendus et affirmés, La Vie d’Adèle est un limpide et intense moment de cinéma qui impressionne par sa majeure absence de fioritures dans un long condensé qui décrypte l’amour sous toutes ses coutures, personnelle, sociale, morale, psychologique, physiologique, métaphysique, et qui sonde l’âme humaine face à lui, dans un sublime récit d’apprentissage tournoyant qui fait mal, à la subtilité saisissante et à la véracité stupéfiante. Un classique envoutant aux images et aux musiques qui restent, qui restent, qui restent…
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux