Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : Hanyo (aka Hanyeo)
Père : Kim Ki-Young
Livret de famille : Eun-shim Lee (la servante), Jeung-nyeo Ju (l’épouse), Jin Kyu Kim (le professeur de piano), Sung-kee Ahn (le fils), Aeng-ran Eom (Gyeong-hee), Seok-Je Kang (la fille)…
Date de naissance : 1960
Nationalité : Corée du Sud
Taille/Poids : 1h48 – Budget NC
Signes particuliers (+) : Un film fondateur du cinéma coréen et asiatique en général, en avance sur son époque. Dur, cruel, un huis clos dramatique étouffant, fiévreux et intense.
Signes particuliers (-) : Parfois un peu déconcertant dans plusieurs de ses idées ou dans la conduite du script.
LA SERVANTE N’EST PAS UN HANYO
Résumé : Un couple bien sous tout rapport et respecté dont le mari est professeur de piano, emménage dans une nouvelle maison plus grande. Trop de travail pour l’épouse qui convainc alors son époux d’embaucher une servante. Mais la servante, recommandée par une connaissance, devient la maitresse et la situation de devenir incontrôlable…
Souvent présenté comme le Psychose asiatique en cela qu’il fait partie des œuvres fondatrices qui ont construit et façonné le cinéma coréen, La Servante (1960) était aujourd’hui aussi rare qu’intrigant. Film en avance sur son temps, à mi-chemin entre le drame psychologique façon Mais Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? et le thriller horrifique dans le lointain esprit du classique hitchcockien (daté de la même année), il appartenait à ces métrages dont le matériel était si abîmé qu’il en empêchait la vision. C’est grâce au soutien de la World Cinema Foundation du passionné de cinéma Martin Scorsese que Hanyo (son titre en coréen) peut aujourd’hui ressusciter de ses cendres. Restauré, retiré dans de nouvelles copies par l’équivalent du CNC local, le chef d’œuvre de Kim Ki-Young s’offre une nouvelle destinée et peut enfin traverser les écrans des pays cinéphiles qui veulent bien l’accueillir.
The Housemaid (à l’international) parlera certainement à pas mal de monde. Normal, rien de moins que trois remakes ont vu le jour depuis la sortie de ce classique, deux par son propre réalisateur et un dernier plus récent (et plutôt bon) par Im Sang-soo, il y a deux ans. Sauf qu’aujourd’hui, c’est dans une machine à remonter le temps que l’on grimpe, pour un retour dans le passé, il y a plus de quarante ans, le temps d’un drame éprouvant, éreintant, terrifiant.
Huis clos étouffant dans lequel une situation dégénère avant d’atteindre des proportions tragiques, La Servante s’appuie sur un récit qui, vu d’aujourd’hui, multiplie les improbabilités ou du moins les évènements et surtout les réactions alambiqués qui font de cette histoire ce qu’elle est. Peut-être le seul point faible d’un film qui a, bien entendu, vieilli et face auquel on reste sceptique devant certaines situations et la façon dont les personnages les abordent. Mais bon. L’important n’est pas là mais dans la façon dont Ki-Young construit son film qui traverse les genres, passant du drame psychologique au thriller teinté d’horreur. Une femme, un homme, leurs enfants et une maîtresse de maison, « celle par qui le scandale arrive ». Typique de la culture asiatique, c’est une fois de plus une éternelle histoire d’honneur qui va être le moteur du récit. Sauver la face, ne pas se couvrir d’opprobre… Un événement, un dérapage consécutif à un premier coup de semonce et tout vrille pour une petite famille unie et heureuse, sur le point de déménager dans leur nouvelle maison. La brève liaison entre le maître de maison et sa servante va déclencher un enchainement dramatique furieux aux proportions incalculables avant de devenir inimaginables. Coincés, les personnages se retrouvent à cohabiter dans des murs qui deviennent vite trop étroits pour eux. L’atmosphère se noircit, s’obscurcit, le climat devient de plus en plus délétère, suffocant et l’on pressent l’arrivée d’un tragique qui accourt au galop.
Amoral, impertinent, La Servante ébranle les tabous les uns après les autres, à plus forte raison dans une culture coréenne très puritaine et pudique à l’époque, et qui se reçoit là un uppercut d’une violence culturelle insoupçonnée. Car il y a une forme de manichéisme nouvelle et perturbante ici, où les bons ne sont pas totalement blancs, où les mauvais ne sont pas totalement noirs, où coexistent seulement des êtres qui vont se déchirer, se torturer, se faire du mal, à la force de leurs motivations personnelles, dans un carnage étouffé à tout prix pour ne pas déborder en place publique. Et du coup, cette histoire, à force de rester entre les quatre murs d’une maison, de se muer en boule de feu dramatique dont la rage contenue va finir par exploser et faire imploser ce microcosme. On pourra aller chercher des repères, considérer cette servante comme la méchante ultime, voir en la femme du professeur de piano la pureté et encore… Et si les cartes étaient plus troubles encore. La perversité de l’histoire narrée nous confond, nous trouble. La Servante du titre, interprétée magistralement par Eun-shim Lee, dont ce sera l’unique rôle au cinéma, est une figure exceptionnelle, une méchante créée, fabriquée par ses propres ennemis qui du coup, sont des victimes qui ne font que payer leurs erreurs. Sulfureux et audacieux, La Servante fonce alors tête baissée vers une explosivité puissante et pervers qui ne reculera devant rien, sacrifiant tout ce qui doit traditionnellement rester loin de la monstration directe, pour développer sa cruauté et le malsain de sa situation empoisonnée.
Étrange, parfois décontenançant à l’image d’un final étonnant, La Servante méritait bien que l’on se penche sur son cas, ne serait-ce que pour des raisons historiques et sa position de pierre angulaire du cinéma d’épouvante coréen. Le film nous arrive aujourd’hui dans une nouvelle version restaurée qui lui redonne ses lettres de noblesse même si le temps n’a pas fait que son travail sur le matériel mais aussi quelque part sur l’œuvre. La puissance de ce classique coréen reste forte et son intemporalité est encore là, derrière les apparences, et même si tout n’y est pas parfait, même si l’on pourra tiquer sur certaines choses (quand le drame atteint un point de non-retour saisissant, l’absence de réaction des personnages pour sauver la face et échapper au scandale est assez déconcertante) La Servante reste un grand film majeur, furieusement en avance sur son époque.
Bande-annonce :