Mondo-mètre :
Carte d’identité :
Nom : La Grande Belleza
Père : Paolo Sorrentino
Livret de famille : Toni Servillo (Jep), Carlo Verdone (Romano), Sabrina Ferilli (Ramona), Iaia Forte (Trumeau), Isabella Ferrari (Orietta), Vernon Dobtcheff (Arturo), Giogio Pasotti (Stefano), Luca Marinelli (Andrea), Pamela Villoresi (Pamela)…
Date de naissance : 2013
Majorité au : 22 mai 2013 (en salles) / 06 novembre 2013 (DVD chez Pathé Distribution)
Nationalité : Italie
Taille : 2h21
Poids : 9,2 millions €
Signes particuliers (+) : Par un hommage à l’héritage des grands maestros du cinéma italien que sont Fellini ou Visconti, Paolo Sorrentino nous balade avec fascination dans une Rome aux allures de paradoxe incarné, tour à tour ville de la décadente ou citée impériale du sublime, patrie de la déliquescence ou de la culture, de la bêtise ou du charme… Aux côtés d’un personnage charismatique incarné par un immense Toni Servillo, entre abandon à la vie et mélancolie désabusée par elle-même, La Grande Belleza enivre, vampirise et nous fait embrasser avec drôlerie et émotion la quête de sens de son fabuleux personnage. Splendide, singulier, délicat, lourd et fort.
Signes particuliers (-) : Si l’effort est magistral et non moins magnifique, on ne peut s’empêcher de déceler dans cette oeuvre riche et majestueuse, la marque d’un surdoué qui joue de son talent avec une pointe de prétention à peine déguisée s’infiltrant dans les recoins d’un film par moment un peu poseur et sur-sophistiqué.
LA CRITIQUE : BALADE DANS LE PETIT THÉÂTRE DES HUMAINS
Résumé : Rome dans la splendeur de l’été. Les touristes se pressent sur le Janicule : un Japonais s’effondre foudroyé par tant de beauté. Jep Gambardella – un bel homme au charme irrésistible malgré les premiers signes de la vieillesse – jouit des mondanités de la ville. Il est de toutes les soirées et de toutes les fêtes, son esprit fait merveille et sa compagnie recherchée. Journaliste à succès, séducteur impénitent, il a écrit dans sa jeunesse un roman qui lui a valu un prix littéraire et une réputation d’écrivain frustré : il cache son désarroi derrière une attitude cynique et désabusée qui l’amène à poser sur le monde un regard d’une amère lucidité. Sur la terrasse de son appartement romain qui domine le Colisée, il donne des fêtes où se met à nu « l’appareil humain » – c’est le titre de son roman – et se joue la comédie du néant. Revenu de tout, Jep rêve parfois de se remettre à écrire, traversé par les souvenirs d’un amour de jeunesse auquel il se raccroche, mais y parviendra-t-il ? Surmontera-t-il son profond dégoût de lui-même et des autres dans une ville dont l’aveuglante beauté a quelque chose de paralysant…
L’été dernier, Woody Allen, le plus new-yorkais des metteurs en scène, avait rendu à sa manière un hommage chaleureux à la capitale de l’Italie, l’illustre Rome. Cette année, c’est au tour d’un pur italien de faire de même, en la personne du napolitain Paolo Sorrentino, chouchou du Festival de Cannes, qui d’ailleurs en reprendra le chemin avec son dernier long-métrage acclamé, La Grande Belleza. Propulsé sur la scène artistique internationale avec le bluffant Il Divo en 2008, Sorrentino s’était offert une parenthèse « étrangère » avec le très critiquée This Must be the Place, coproduction lacrymale italo-franco-irlandaise sur un chanteur de rock dépressif incarné par Sean Penn. Le voici de retour au pays pour une œuvre plus personnelle qui sillonnera avec succès les plus grands festivals du monde, de l’Italie à la France en passant par l’Angleterre, les Etats-Unis ou le Canada.
La Grande Belleza nous emmène au cœur de la Rome culturelle, sur les traces de Jep Gambardella, éphémère écrivain auteur d’un ouvrage unique, critique d’art de longue date, séducteur cultivé au charisme indéniable et grand amateur d’évènements mondains qui font de lui un personnage incontournable et respecté de la haute société élitiste romaine. Au beau milieu de sa ville, entre les jours et les nuits qui passent, les fêtes, l’amour, le sexe et les drames, la religion, la mort et l’art, Jep déambule, vit, ou plutôt existe, à la recherche de sens, à la fois du monde, de la vie, de sa vie, et des choses qui l’animent. Déjà brillant premier rôle de son précédent Il Divo, c’est le fantastique Toni Servillo qui prête ses traits à Jep, en lui conférant tout ce qu’il fallait de puissance énigmatique, de charisme intrigant, de fragilité à fleur de peau, d’humour fin et de mélancolie masquée derrière sa façade de joyeux vivant mi-blasé mi-dévoué au charme de la vie et des plaisirs qu’elle procure…
Avec La Grande Belleza, Paolo Sorrentino livre un hommage vibrant aux grands cinéastes italiens que sont les Fellini ou les Visconti. Totalement abandonnée dans une vision du sublime visuel et émotionnel et parfois contrariée par une légère forme de prétention, cette nouvelle œuvre du maestro est tour à tour fascinante voire électrisante et rebutante d’abscondité. Les moments de grâce purs répondent par écho aux moments d’ennui, la légèreté d’un univers en apesanteur et presque hors du temps répond à la confusion d’une narration au contraire trop physiquement enracinée dans son genre de cinéma… Mais curieusement, tout s’efface au final dans ce film des paradoxes, tant il se dégage de cette Grande Belleza une impression troublante d’œuvre majeure, alignant conjointement des sensations et des ressentis divers pour mieux nous faire saisir l’immensité de la richesse de la belle Rome, ville décadente et ville passionnée, ville dépressive et ville vouée au magnifique envoûtant, ville déviant vers la bêtise et ville au sommet d’un élitisme figuratif. Pour mieux nous faire ressentir aussi la dualité qui anime ce complexe et si saisissable Jep, partagé entre philosophie épicurienne, lassitude et intense quête existentialiste sur la finalité de toute cette folie de vie qui l’entraîne telle une danse dont il ne perçoit pas l’issue et la dialectique des pas. Si parfois l’oeuvre énerve par sa mégalomanie, c’est pour mieux d’une façon plus générale, nous entraîner par le bras dans son univers hanté par une recherche du splendide délicat et d’une vérité humaine, au gré d’une séduction opératique qui se dessine dans les contours de son magique délirant et sensoriel. Et au milieu de ce capharnaüm obsédant, des hommes, un homme, personnification du petit théâtre de la comédie humaine, qui déambule, recherche, se cherche, et nous séduit par sa façon de littéralement bouffer l’écran par sa présence fabuleuse.
Malgré les dichotomies qui embrassent le film, entre la virtuosité terrassante de sa mise en scène et la sophistication parfois vaine du dispositif, entre la fascination éprouvée envers cet univers mélancolique et la lourdeur de la narration qui se traîne ses références comme des poids morts freinant son envol, La Grande Belleza est une aventure humaine planante, profonde, irrésistible, une chronique étrange qui emboite le grave à la légèreté, la décadence au raffiné, pour finir en tour de force magistral ne manquant pas de souffle intimiste et sentimentaliste, porté par une indéniable beauté de chaque instant, élégante et ensorcelante. Par sa déclaration d’amour singulièrement moderne et rétro à Rome et à tout un héritage du cinéma italien, Sorrentino prouve bien qu’il n’a pas usurpé son statut de surdoué transalpin. L’œuvre est lourde, folle, ambitieuse, drôle, douloureuse, poseuse aussi, mais sa quête existentialiste tardive, au mieux résonnera dans les cœurs, au pire, bouleversera sans que l’on sache vraiment pourquoi. Étrangement magnifique, La Grande Belleza serait-il un chef d’oeuvre prétentieux ? En tout cas, la définition lui irait si bien…
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux