On a eu la chance de rencontrer la réalisatrice australienne Jennifer Kent, venue à Paris pour présenter Mister Babadook, sans doute l’un des meilleurs d’horreur de l’année. Mister Babadook est sorti au cinéma le 30 juillet dernier. Retrouvez notre critique du film ici.
Votre film aborde l’histoire d’amour entre une mère et son fils. Avez-vous pensé à en faire un film d’horreur dès le départ ou seulement après ?
J. Kent : Pour moi, la base de l’histoire, c’est vraiment la relation entre cette femme et son enfant. Bien sûr, j’ai pensé très vite au cinéma d’horreur, parce que c’est un genre que j’affectionne, mais je suis toujours partie de cette relation comme base et du fait que cette femme, pour aimer son enfant, doit littéralement traverser l’enfer pour éprouver à nouveau ce sentiment.
Quels sont les films qui vous ont inspiré pour réaliser Mister Babadook ? On pense notamment à Shining parfois, pour la progression des personnages vers la folie voire même pour la mise en scène…
J. Kent : J’ai lu le livre Shining très récemment et bizarrement, j’ai trouvé que mon film avait plus de résonance avec le livre de Stephen King qu’avec le film de Kubrick. Évidement, je suis sans doute aussi inspiré inconsciemment par le film parce que c’est un de mes films préférés. Après, j’aime aussi le cinéma d’horreur des années 70, le cinéma italien de Mario Bava ou Argento, le cinéma de John Carpenter, de Murnau… Tout ça m’a forcément influencé. Polanski aussi…
Pouvez-vous nous dire d’où vient le nom de Mister Babadook ?
J. Kent : J’ai écrit le film à Amsterdam et je partageais la maison que j’occupais avec un serbe. Je cherchais un nom pour la créature mais je voulais que ce nom ne veuille rien dire alors je lui ai demandé comment on disait « boogeyman » en serbe et il m’a répondu « Babaroga ». J’aimais bien le son » baba » mais je n’aimais pas trop « babaroga » en entier. D’autant plus que ça voulait aussi dire « grand-mère » et je n’avais pas trop envie que le film s’appelle « la grand-mère » ! J’ai cherché à jouer avec ces deux syllabes et j’ai ajouté « dook ». Ca a donné Babadook. Ce qui me plaisait aussi, c’est qu’en anglais « Babadook » rimait avec « book » et « look » et quand on voit le film… Ce qui est amusant, c’est qu’à Sundance, les gens ont pensé que ça devait être une sorte de monstre australien. Déjà que les américains pensent que les australiens sont bizarres…
Il y a un très grand travail sur le son dans le film, pouvez-vous nous en parler ?
J. Kent : Je suis complètement obsédée par le son et le mixage du son et d’ailleurs, le travail sur le son a pris deux fois plus de temps que prévu. Quand on a montré le film sans la version finale du son, beaucoup de gens nous ont dit qu’il y avait beaucoup de scènes trop longues etc… Mais moi j’avais une vision plus globale avec le son en tête et effectivement ça a marché. Par exemple, on ne voulait pas que la musique soit seulement posée sur les autres sons mais qu’elle se fonde dedans. D’ailleurs, il y a très peu de musique dans le film, surtout des sons. Le compositeur a lui aussi été très influencé par le cinéma d’horreur des années 70. Aussi, je ne voulais surtout pas que dans le film, la musique donne des indices sur ce qu’il allait se passer. Hitchcock utilisait beaucoup ce ressort là.
Vous utilisez beaucoup d’images de films, notamment à travers des plans sur la télévision. Et on voit à plusieurs reprises des extraits de films de Méliès. C’était une volonté de rendre un hommage ? Il fait aussi parti de vos influences ?
J. Kent : Pour moi, la figure du Babadook est une figure silencieuse. Et j’avais en tête ces images de Méliès que j’admire énormément. Ses saynètes et ses films, même s’ils peuvent paraître enfantins, cachaient un côté profondément sinistre. Et ça collait parfaitement à l’esprit du livre pour enfant et à celui de la créature. J’ai eu beaucoup de plaisir, à certains moments, à intégrer la figure du Babadook dans les saynètes de Méliès que j’utilise. Et pour moi, c’était très important que tout sonne très réel, comme fait avec des bouts de ficelles (la marque de Méliès ndlr), à l’image du livre pour enfant. J’ai l’impression, mais c’est un avis personnel, que la peur fonctionne mieux quand on sent l’authenticité, plus qu’avec des choses faites par ordinateur ou en 3D.
Vous avez cité pas mal de vos références et sur bien de points, votre film m’a également évoqué le cinéma de Jacques Tourneur. L’idée de faire peur en en montrant le moins possible, de dévoiler la créature le plus tard possible… Il m’a même semblé qu’à un moment, il y avait un court extrait de Night of the Demons qui passe dans la télévision…
J. Kent : J’aime beaucoup ce film. Mais non Tourneur n’était pas une référence consciente en tout cas.
Parmi vos influences, y’a t-il eu le champ de la psychanalyse, Freud notamment, et celui de la peinture, comme Richter ou Goya par exemple ?
J. Kent : La psychanalyse, ce n’est pas vraiment mon truc donc je n’ai vraiment de références en la matière. Pour moi, la seule référence que je pourrais avoir avec ce film concernant la psychanalyse, c’est une citation de Karl Young qui disait : « On ne peut pas tuer le monstre ». Pour la peinture… J’aime beaucoup Goya mais non, il n’y avait pas références directes…
Pouvez-vous nous parler du casting. Le petit garçon est particulièrement extraordinaire, d’autant que son personnage est à la fois très agaçant et dans le même temps, très attachant…
J. Kent : J’ai cru que j’allais craquer avec lui… Pas parce qu’il n’était pas bon mais parce qu’il avait seulement six ans et que c’était son premier film. Nous avons organisé un casting avec environ 600 enfants et nous en avons auditionné au final une centaine pour en garder 10. Il y a quelque-chose qui m’a vraiment touché chez Noah Wiseman, quelque-chose dans son regard. Je sais ce que c’est d’être actrice, je l’ai été, je le suis toujours et j’ai commencé quasiment au même âge que lui. J’ai vraiment trouvé chez lui quelque-chose d’intéressant. Quand il nous restait ces dix enfants, Noah Wiseman est arrivé avec les ongles peints, il nous a dit qu’il aimait le tricot… Il avait vraiment un truc de spécial. Par exemple, lors de son audition, il devrait entrer dans une trappe et il a fait semblant de sortir une fausse clé de sa poche pour ouvrir la porte avant de s’y cacher. On ne lui avait pas demandé de faire ça pourtant. Je me suis dit qu’il avait vraiment une imagination très forte et que je tenais le bon. En plus, sa mère est psychologue pour enfant. D’ailleurs, quand elle a lu le script, elle s’est dit : « Non, c’est pas possible, je peux pas laisser mon enfant jouer dans un tel film ». Puis nous nous sommes rencontrées et elle a été rassurée. On a passé ensuite trois semaines à répéter ensemble avec Noah. Je lui ai raconté la version pour enfant de l’histoire et il était très impressionné quand il voyait que c’était une histoire sur le pouvoir de l’amour… C’est un petit garçon très généreux, avec un grand cœur. Par exemple, la scène où il se met en colère contre sa mère, il fallait qu’il soit très en colère. Je lui ai montré et il s’est mis en colère en hurlant « c’est comme ça qu’il faut que je sois, c’est comme ça ? » On a filmé la scène et il était très fier après, il a passé la journée à dire « Tu as vu comme j’étais bon ? » C’était trop mignon. La scène où il a des convulsions, c’était drôle aussi, car il ne savait pas ce que c’était des « convulsions ». Il a fallu que je lui montre… Il avait un grand pouvoir d’observation. En tout cas, ça a été une des plus grandes peurs de ma vie de tourner avec un enfant. Après le casting, j’étais emballée mais la veille du tournage, j’étais paniquée, je me disais que ça n’allait jamais marché, que c’était irresponsable… Il m’a fallu un moment pour reprendre confiance. C’est drôle car sa mère m’a dit qu’à l’école, il était très dissipé, il n’arrivait pas à se concentrer etc… On lui a demandé pourquoi là il y arrivait et il a répondu « oui mais là, c’est important ».
C’était votre premier film, quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes metteurs en scène qui veulent entrer dans le métier ?
J. Kent : Ne le faites pas ! Je me souviens d’une interview de Kristof Kieslowski qui disait que les choses les plus importantes sont celles que l’on n’apprend pas dans les écoles de cinéma. Je n’ai pas fait d’école de mise en scène mais ce qui est important, c’est d’avoir son propre point de vue. Quand on a une vision, il faut se tenir. C’est le plus important. Il y a beaucoup de gens qui vont vous dire qu’il ne faut pas faire ci ou ça. C’est important d’écouter les retours mais si vous n’avez pas un point de vue, une direction vers laquelle vous voulez aller, ça ne peut pas marcher. J’ai vu des amis réalisateurs qui ont souffert de ça, de trop avoir écouté les conseils des autres au point d’en oublier leur vision à eux. C’est terrible de voir quelqu’un en arriver là.
Avez-vous déjà d’autres projets en tête ?
J. Kent : C’était mon premier long-métrage après un court qui s’appelait Monster. Je travaille actuellement sur deux scénarios mais ce ne seront pas des films d’horreur. Le premier s’appelle Grace et se passe dans un environment horrible, la Tazmanie des années 1820. Il s’agit d’une histoire de vengeance du point de vue d’une femme. Et j’ai refusé deux propositions de films d’horreur américains car ce n’était pas des sujets qui m’intéressaient. Je ne dit pas que je ne referai jamais de film d’horreur mais il faut que le sujet me plaise et qu’il y ait plus que seulement l’horreur dedans.
Attention, il est préférable d’avoir vu le film pour les questions suivantes.
Le film entretient une forme de mystère sur le Babadook, est-ce qu’il existe ou pas… En tout cas, il a l’air surtout de représenter les sentiments de la mère, la peur, la colère, la haine envers sa vie… Pouvez-vous nous expliquer la fin du coup. Pourquoi la mère le nourrit au final ?
J. Kent : C’est une remarque intéressante. Je ne peux pas vous dire ce qu’est le Babadook. Pour moi, je sais ce qu’il représente à titre personnel mais je ne veux surtout pas vous dire que le Babadook, c’est ci ou ça. Ce n’est pas à moi de dicter ce qu’il est. Pour la fin, c’est pas pour être évasive mais je préfère ne pas de donner de réponse arrêtée. Ce que je peux vous dire, c’est que pour moi, le Babadook est quelque chose qu’on ne peut pas tuer. On ne peut pas s’en débarrasser, il faut apprendre à vivre avec. Si je vous disais ce qu’il fallait penser de la fin, ce serait aussi ennuyeux que de vous raconter mon rêve de la nuit dernière.
Pendant tout le film, on est entre le film psychologique et le récit surnaturel et c’est très réussi. Mais on en tire un peu la conclusion que, comme le Babadook prend à plusieurs reprises l’apparence de son mari défunt, c’est pour ça qu’elle ne peut tout simplement pas le laisser aller…
J. Kent : Peut-être, en effet…
Il est mentionné à un moment que le métier de la mère est de faire des livres pour enfant. Pourrait-on même dire que c’est elle qui a créé le Babadook ?
J. Kent : Ce serait vraiment terrible si c’était elle qui avait créé le livre du Babadook. Je pense que le livre arrive dans sa vie à un moment où elle ne se rend plus trop compte, où elle n’a plus le contrôle. Ce qui se passe, c’est que le livre est comme un signal d’alarme lui disant qu’elle doit réagir, qu’elle doit voir ce qui se passe autour d’elle. Mais non, je ne pense pas qu’elle ait créé le livre. Moi, j’ai plutôt l’impression que le livre s’écrit tout seul…
Merci à Jennifer Kent et à Waytoblue pour cette rencontre.