Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Foxcatcher
Pères : Bennett Miller
Date de naissance : 2014
Majorité : 21 janvier 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h02 / Poids : NC
Genre : Drame
Livret de famille : Channing Tatum (Mark Schultz), Steve Carell (John du Pont), Mark Ruffalo (Dave Schultz), Sienna Miller (Nancy), Vanessa Redgrave (Jean du Pont), Anthony Michael Hall (Jack)…
Signes particuliers : Tout est une question de finesse, d’intelligence et d’immenses comédiens dans ce Foxcatcher signé Bennett Miller.
AU COEUR DE LA LUTTE
LA CRITIQUE
Résumé : Inspiré d’une histoire vraie, Foxcatcher raconte l’histoire tragique et fascinante de la relation improbable entre un milliardaire excentrique et deux champions de lutte. Lorsque le médaillé d’or olympique Mark Schultz est invité par le riche héritier John du Pont à emménager dans sa magnifique propriété familiale pour aider à mettre en place un camp d’entraînement haut de gamme, dans l’optique des JO de Séoul de 1988, Schultz saute sur l’occasion : il espère pouvoir concentrer toute son attention sur son entraînement et ne plus souffrir d’être constamment éclipsé par son frère, Dave. Obnubilé par d’obscurs besoins, du Pont entend bien profiter de son soutien à Schultz et de son opportunité de « coacher » des lutteurs de réputation mondiale pour obtenir – enfin – le respect de ses pairs et, surtout, de sa mère qui le juge très durement.L’INTRO :
Trois longs-métrages, trois histoires vraies portées à l’écran pour le cinéaste Bennett Miller, qui décidément a une affection privilégiée pour les récits extraordinaires, fruits du réel. Après le journaliste Truman Capote en 2005, puis le manager de baseball Billy Beanes dans Le Stratège, le metteur en scène américain s’intéresse au milliardaire John du Pont, tristement célèbre pour avoir été un riche philanthrope passionné de sport, qui a monté une « team » de lutteurs, emmenée par les deux champions olympiques Dave et Mark Schultz. L’histoire d’une rencontre qui se terminera par un drame. Aujourd’hui, John du Pont purge une peine de 30 ans de réclusion criminelle. Nominé aux prochains Oscars, Foxcatcher est un drame psychologique porté aux nues depuis son Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, où auront été loué l’intelligence de sa réalisation et surtout les performances impressionnantes de son trio de comédiens, Channing Tatum, Steve Carell et Mark Ruffalo.
L’AVIS :
D’une subtilité qui n’a d’égale que sa maîtrise et son intelligence dramaturgique, Foxcatcher est un très grand film qui passe à deux doigts du chef d’œuvre magistral sur le désir et le besoin de reconnaissance, sur la castration et la frustration maladive, sur le pouvoir de domination, le vrillage psychologique sourd, sur la mégalomanie et l’illusion du rêve américain… Bennett Miller brasse de nombreuses thématiques avec une élégance, une cohérence et un maniement de la finesse d »écriture sensationnels, dans un drame implacable qui vient s’inscrire à mille lieux de la grande majorité de la production hollywoodienne actuelle. Par son refus du pathos, de la lourdeur, de l’appesantissement. Aérien et confectionné dans la grâce en apesanteur au-dessus de son sujet, dans une démarche opposée à la facilité simpliste du démonstratif, le cinéaste capte des moments intimistes, des interactions lourdes de sens, des symboles glissés avec discrétion et acuité, privilégie sans cesse la sophistication du subtilement complexe à la complaisance du sur-explicatif. Le résultat amène son Foxcatcher vers une extraordinaire richesse pour ce qui est de dessiner un double portrait glaçant, mélangeant sport et tragédie, dominé par une sensation troublante de menace hermétique permanente. Des fulgurances le traversent, des scènes au firmament de la virtuosité le ponctuent, une rigueur générale le tient fermement en main, alors que l’ensemble observe, dissèque, analyse, avec une séduisante maestria intimiste et un pouvoir de fascination terrifiant envers cette mécanique tragique qui se met progressivement en place sous couvert d’une atmosphère qui se veut oppressante et tendue.
Ce dont on retiendra en priorité, outre son intelligence dramatique, ce sont surtout les exceptionnelles prestations de son duo phare de comédiens utilisés à contre-emploi. Un Channing Tatum qui montre une fois de plus toute l’étendue de sa palette de jeu, capable des plus saisissants grands écarts, successivement furieusement drôle, cool et déjanté dans un 22 Jump Street, charismatique dans un univers imaginaire avec l’actioner SF Jupiter Ascending et ici tout en force brute et épidermique. Le comédien traverse la route vers le drame poignant pour livrer une interprétation toute en puissance contenue, flirtant sans cesse avec l’angoisse d’une explosion dévastatrice. En parlant de terreur, Steve Carell, d’ordinaire abonné aux rôles comiques voire potaches et ici physiquement transformé à des kilomètres de son registre, surprend avec un rôle sur un fil, entre l’inquiétant et le mystérieux. A l’image du film, un rôle inscrit dans la subtilité des regards, des silences, des expressions, des gestes anodins, que le comédien transcende avec une justesse hallucinante pour faire de son personnage, un être que l’on sent friable, proche d’un chaos effrayant.
Foxcatcher est à de nombreux égards, une œuvre d’une intelligence, d’une grandeur et d’une virtuosité époustouflantes. Comment peut-il faire alors pour passer à côté du chef d’œuvre indiscutable ? Tout simplement parce que Bennett Miller s’attarde avec telle minutie fascinante sur la progression psychologique de ses personnages, sur leur évolution brillamment disséquée, qu’il en oublie parfois de cristalliser ses enjeux avec force pour mieux surligner la tension oppressante qui se cache derrière eux. Une tension intermittente, qui passe et repasse sans cesse au-dessus et en-dessous de sa ligne de flottaison, au lieu de croître avec homogénéité vers son explosion attendue et redoutée. Bennett Miller est plus orfèvre du fond que de la forme, du moins sous certaines facettes de sa conduite narrative. Et Foxcatcher ne tire pas la pleine puissance du déroulé sombre et oppressant de son histoire, que l’on aurait bien vu sous la direction d’un David Fincher, par exemple. En tout cas, on louera l’abstraction des coutures apparentes et on saura se délecter de la substance mirifique d’une œuvre non sans génie, dont le raffinement ne fait que rendre plus beau ce que le cinéma traditionnel évacue et que Miller replace au centre de tout : cet instants qui l’air de rien veulent tout dire.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux