Mondociné

THE NORTHMAN de Robert Eggers : la critique du film

Partagez cet article
Spectateurs


Nom : The Northman
Père : Robert Eggers
Date de naissance : 2021
Majorité : 11 mai 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h17 / Poids : NC
Genre : Historique, Action

Livret de Famille : Alexander SkarsgårdNicole KidmanClaes Bang, Anya Taylor-Joy, Ethan Hawke, Willem Dafoe, Bjork, Gustav Lindh…

Signes particuliers : Une œuvre monumentale par sa densité, sa puissance, sa violence, son jusqu’au-boutisme, sa beauté figurative. 

Synopsis : Le jeune prince Amleth vient tout juste de devenir un homme quand son père est brutalement assassiné par son oncle qui s’empare alors de la mère du garçon. Amleth fuit son royaume insulaire en barque, en jurant de se venger. Deux décennies plus tard, Amleth est devenu un berserkr, un guerrier viking capable d’entrer dans une fureur bestiale, qui pille et met à feu, avec ses frères berserkir, des villages slaves jusqu’à ce qu’une devineresse lui rappelle son vœu de venger son père, de secourir sa mère et de tuer son oncle. Il embarque alors sur un bateau pour l’Islande et entre, avec l’aide d’Olga, une jeune Slave prise comme esclave, dans la ferme de son oncle, en se faisant lui aussi passer pour un esclave, avec l’intention d’y perpétrer sa vengeance.

 

DÉROUILLE ET D’OS

NOTRE AVIS SUR THE NORTHMAN

Souvent cité comme l’un des petits génies du moment aux Etats-Unis, le réalisateur Robert Eggers signe la passe de trois avec The Northman, son film le plus ambitieux à ce jour, très loin devant The Witch ou The Lighthouse. Ambitieux à tous les égards d’ailleurs, parce qu’il hérite pour la première fois d’un budget conséquent (90 millions après dépassement), parce qu’il entend proposer une fresque indomptable, parce que le film est le fruit d’une quête obsessionnelle de véracité, parce qu’il est fondé sur l’intention de réaliser le film de vikings absolu et définitif, celui qui ferait autorité en la matière. Rien que ça. Pour se faire, Eggers est allé très loin dans un perfectionnisme digne de la folie d’un Kubrick. Ecriture du scénario avec un panel d’archéologues et spécialistes de la culture viking sur la base de légendes et récits historiques, volonté d’extrême exactitude, distribution largement nordique (Alexander Skarsgard étant au passage aux origines du projet), tournage en conditions extrêmes, bande originale composée quasi uniquement avec des instruments d’époque, décors fabriqués selon des méthodes traditionnelles vikings, armes forgées manuellement une à une sous la supervision d’historiens… Et force est de reconnaître que le résultat est sidérant !

Comment résumer The Northman… Vous voyez la série Vikings ? Bah c’est pas ça. Même si l’on concède que le show a gagné en violence (formatée) au fil des saisons, le film de Robert Eggers est aux antipodes du divertissement télévisé, bien plus fou, bien plus extrême, bien plus radical. En même temps, pouvait-il autrement avec l’auteur des déjà très singuliers The Witch et The Lighthouse ?

Quelques-uns ont évoqué un film « différent » de ses précédents travaux. Oui dans un sens, mais au fond pas tellement. Certes The Northman a plus de rythme que les lancinants The Witch et The Lightouse, on pourrait même dire qu’il est plus spectaculaire à sa manière, et nettement moins minimaliste (à contrario du Valhalla Rising de Refn). Mais les fondamentaux du cinéma d’Eggers sont bel et bien toujours là. Ils ne font pas qu’envahir l’écran, ils l’habitent dans chaque recoin et pixel de l’image. On retrouve en tête de liste, cette volonté d’un cinéma total et sensoriel qui plonge le spectateur dans un cauchemar déstabilisant, viscéral, où l’atmosphère anxiogène est soutenue par un énorme travail formel et sonore visant l’hypnotisme et l’oppressant. Et comme ses précédents travaux, The Northman n’est pas qu’un film, c’est une expérience. Eggers est fidèle à lui-même, il a toujours conçu ses films ainsi. The Witch était une expérience glaciale sur la peur. The Lighthouse était une expérience psychologico-autistique sur la folie. A son tour, The Northman est une expérience furieuse et viscérale sur la violence consumante, celle qui broie l’intérieur ruminée par des années de soif de vengeance. Revisitant très librement les lointaines origines supposées du mythe d’Hamlet (qui non, n’aurait pas été totalement imaginé par Shakespeare mais partiellement inspiré de la légende scandinave d’Amleth), The Northman est une plongée brûlante et brutale dans un mélange de bruit et de fureur, comme si l’on vous poussez violemment et par surprise au cœur d’un volcan en fusion.
L’expérience est indescriptible, ou disons difficile traduisible en mots tant que le film de Robert Eggers est une hallucination cinématographique. On pourrait même parler « d’exception » dans le paysage hollywoodien. Un peu à l’instar de The Revenant il y a sept ans, produit par le même studio. Dès les premières images, Eggers plante décor, ton et ambiance. Avec The Northman, on va pénétrer dans un univers rugueux, sombre, violent, sans pitié, épuisant, surnaturel, badigeonné d’une folie là encore presque autistique. Un univers traduit par un formalisme absolument dément (on pense parfois à un mélange de Conan le Barbare et de 300) et un travail sonore entêtant qui participe à créer cette ambiance de folie hallucinatoire. Thématiquement, Robert Eggers a toujours aimé revenir aux sources de nos terreurs et mythologies les plus profondes et ancestrales. C’est encore ce qu’il fait ici, revenant aux sources profondes d’Hamlet, aux mythes sur et autour de la culture viking, plongeant sans ménagement dans une imagerie médiévale traumatisante, parlant d’abandon, de trahison, de destin, d’amour bafoué, de sacré, de sauvagerie primaire, de barbarie sanguinaire, de vision légendaire de la mort et de l’au-delà…
Fresque épique aussi monumentale que sans concession, The Northman est du cinéma de chair, du cinéma d’incarnation, du cinéma d’absolu. D’un bout à l’autre, on est enchaîné à l’écran, fasciné par l’univers, collé à un Alexander Sarsgard à la bestialité presque dérangeante, bloqué pendant longtemps par l’absence d’une once de douceur et d’empathie. Pourtant, la richesse mirifique du scénario ne trouve pas d’écho dans une trame finalement assez cousue de fil blanc (on devine assez vite les passages que l’histoire va franchir, ses marqueurs et sa destination). Mais qu’importe la destination, l’important c’est le voyage comme il a été souvent dit. Et ici, le voyage est surréaliste, un chemin tortueux balisé par un fracas d’os brisés, de sang versé, de chair lacéré et de cris bestiaux, balisé par des abandons mystiques, par une rage paroxystique, par un désespoir funeste, par de l’amour malmené.
Encore une fois, Robert Eggers étale son génie et sa capacité à s’imprégner des récits fondateurs pour créer des propositions de cinéma aussi singulières que denses et précieuses. Son formalisme est plus somptueux que jamais (chaque plan est d’une majestuosité digne des grands tableaux), l’intensité est constamment à son comble et ce voyage dans le Nord mythologique est d’une puissance dévastatrice qui ne peut laisser insensible. On est d’ailleurs très curieux de voir la suite de la carrière du metteur en scène qui, avec The Northman, semble poursuivre une quête d’un idéal de cinéma dichotomique entre extrême singularité et spectacle hypnotique et massif. Avec The Northman, il signe comme un blockbuster d’auteur, une première pour lui. Ames sensibles s’abstenir (on est proche d’un cinéma d’horreur en terme d’imagerie), The Northman est l’une des sacrées claques de l’année.
Par Nicolas Rieux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Close
Première visite ?
Retrouvez Mondocine sur les réseaux sociaux