Carte d’identité :
Nom : Eternals
Mère : Chloé Zhao
Date de naissance : 2020
Majorité : 27 octobre 2021
Type : sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h37 / Poids : NC
Genre : Super-héros
Livret de Famille : Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek, Angelina Jolie, Barry Keoghan, Kumail Nanjiani, Brian Tyree Henry, Dong-Seok Ma, Kit Harington…
Signes particuliers : Petit pense-bête au cas où : deux scènes post-générique pour exciter les fans en délire.
TOUT SIMPLEMENT L’UN DES MEILLEURS MARVEL
NOTRE AVIS SUR LES ÉTERNELS
Synopsis : Depuis l’aube de l’humanité, les Éternels, un groupe de héros venus des confins de l’univers, protègent la Terre. Lorsque les Déviants, des créatures monstrueuses que l’on croyait disparues depuis longtemps, réapparaissent mystérieusement, les Éternels sont à nouveau obligés de se réunir pour défendre l’humanité…
Des Chansons que mes frères m’ont apprises aux Éternels, la cinéaste Chloé Zhao opère un virage à 180º dans sa carrière. Habituée aux productions indépendantes tâtonnant entre le réalisme documentaire et la fiction humaniste (The Rider, l’oscarisé Nomadland), Chloé Zhao se retrouve aujourd’hui aux commandes d’une superproduction… Marvel ! En clair, elle passe de l’épure totale aux gros effets spéciaux de pointe. Elle passe du drame intimiste au cinéma super-héroïque d’action. Elle passe du minimalisme au gigantesque. Elle passe de l’improvisation au très cadré. Le choix avait surpris tout le monde mais il s’est avéré que Chloé Zhao est une artiste encore plus éclectique qu’on ne l’aurait cru. Grande amatrice de l’univers Marvel, c’est elle qui a proposé ses services au studio. Sauf que vouloir et pouvoir sont deux choses bien différentes. La frêle réalisatrice chinoise avait-elle les épaules pour supporter et mener à bien pareille entreprise, à plus forte raison quand on sait que Les Éternels n’était pas forcément l’un des projets Marvel les plus vendeurs et qu’il allait falloir convaincre et provoquer une attente à demi-réveillée ? Avec de l’envie, des ambitions et un casting qui brasse plus que large (cette fois, Marvel a tout mis question « représentation rassembleuse », toutes les communautés, du handicap, du LGBT, tout !), Les Éternels s’est timidement avancé sur le ring il y a quelques jours aux États-Unis. Bilan, un accueil critique dès plus tiède, le film récoltant l’une des moins bonnes moyennes d’opinions qu’ait connu Marvel depuis des lustres.
Chloé Zhao et Marvel… On en revient toujours à ce mariage incongru. La maison de Mickey n’en est pas à sa première fois. Le studio nous a déjà fait le coup d’aller chercher un(e) cinéaste avec une vraie personnalité pour au final, le/la contraindre à se fondre dans le moule maison quitte à lui faire oublier qui il/elle est. A se demander parfois pourquoi s’enquiquiner à embaucher des auteurs si c’est pour les remodeler en faiseurs. Sauf que là, c’est l’inverse. Marvel n’est pas allé chercher Zhao, c’est Zhao qui est allée chercher Marvel. Une preuve de sa confiance extrême en ses capacités à faire quelque chose de mémorable ? Une chose est sûre, la présence de la metteur en scène oscarisée à la tête de l’une des productions les plus périlleuses du MCU était la plus grosse interrogation compte tenu de son passif éminemment auteuriste. Allait-elle donner une vraie personnalité au film ou, au contraire, juste se fondre dans la masse en se soumettant aux impératifs/codes du Marvel Cinematic Universe ? Au vu du résultat, on serait tenté de dire que Marvel a peut-être compris que les visions fortes des auteurs peuvent faire évoluer son univers et le nourrir d’autre chose, histoire de casser un peu cette sensation de films « copier-coller » qui lui est si souvent reprochée.
Et oui, Chloé Zhao a pu s’imposer et imposer quelque chose. Jusqu’où s’est étendue sa liberté, on en saura probablement jamais rien mais clairement, ces Éternels ont quelque chose de fort à proposer. Son originalité s’incarne dans un mélange de narration audacieuse, d’inspirations lorgnant vers la tragédie grecque, d’identité visuelle marquée et de réel propos philosophique. De la forme et du fond, Les Éternels coche beaucoup de cases et séduit par son volume. La déconstruction asymétrique du récit (très adroitement agencée) multipliant les allers-retours temporels pour dessiner la grande histoire des « Éternels » sur plusieurs millénaires derrière l’intrigue au temps présent, apporte une intensité fabuleuse et soutient un vrai discours existentialiste sur l’humanité, son évolution, la nature humaine, le libre-arbitre et la spiritualité. La dimension tragique qui se répand dans toutes les pores de l’histoire lui confère une subtile émotion dont rarement les superproductions Marvel ont été capables. Et formellement, Chloé Zhao parvient à apporter sa patte, versant au milieu de superbes effets spéciaux couplés à un imaginaire visuel et un production design magnifiques, son amour du minimalisme, de la poésie naturaliste, avec des plans d’une grande humanité et simplicité.
Moins de fonds verts, plus de décors naturels, un vœu que la cinéaste a su imposer au studio. Il marque une différence d’avec les films traditionnels de la firme, comme si Chloé Zhao avait su déconstruire les données Marvel préétablies et refondre une partie du moule selon ses idées, tout en respectant la mécanique maison. Dans le sillage de cette petite « révolution », la plus grande. Plutôt que de sombrer dans le brouhaha numérique monocentré sur le sacro-saint ludique, Chloé Zhao signe un Marvel qui offre une vraie sensation de différence, d’originalité. Les Éternels donne l’impression d’une immense épopée historico-science-fictionnelle qui s’efforce de transcender son matériau, de replacer un peu d’intimisme au cœur de ces aventures fantastiques. Ironiquement, alors qu’il introduit des êtres célestes quasi divins, on a l’impression d’avoir eu plus d’humanité en 2h37 des Éternels que dans des dizaines de marvelleries précédentes. Et cela participe à sublimer un film aux accents bibliques plus profond, plus dense, plus riche, qu’une large partie de ses prédécesseurs.
En parlant de prédécesseurs, et le film au sein du MCU dans tout ça ? Par son histoire bien sûr, mais aussi par sa mise en scène, son formalisme ou sa capacité à élever son récit, Chloé Zhao a su trouver le moyen de marquer la différence d’avec les Avengers, de donner ce sentiment que l’on évolue dans une sphère très supérieure, quasi divine disait-on plus haut. Et de faire ainsi ressentir une sorte de hiérarchisation super-héroïque. Clairement, les « Éternels » ne sont pas des Avengers, plus plus qu’ils ne sont qu’une énième bande de « simples » super-héros comme les autres. Sur ce point, Zhao parvient à relever le challenge d’imposer un nouvel univers avec le gigantisme métaphysique qu’il réclamait. Et en parlant des Avengers justement. On s’inquiétait (façon de parler) de la manière dont ce nouveau film allait raccrocher les wagons avec le reste en redoutant une pseudo justification expédiée à la sulfateuse. Et bien non. Les Éternels trouve sa totale crédibilité narrative et emboîte son histoire avec celle des Avengers (Thanos, l’humanité décimée, tout ça tout ça) avec une logique qui fonctionne parfaitement et qui ne se perd pas en route, bien au contraire.
Alors évidemment, tout n’est pas parfait et aussi fifou que dans le monde coloré des Barbapapas. On pourra toujours trouver à redire. Oui, certains messages sont très appuyés (notamment le côté rassembleur évoqué cherchant à tout prix à représenter tout le monde jusqu’à forcer le « wokisme » pour reprendre le terme à la mode). Oui, certains pourront y trouver quelques petites longueurs par moments. Et surtout, on a parfois l’impression que Les Éternels improvise un peu ses règles en cours de route au gré des besoins du scénario, quitte à flirter avec quelques micro incohérences néanmoins limitées ou à se tenir à des ficelles un peu épaisses. Mais dans sa globalité, il est (de loin ?) l’un des meilleurs Marvel produit jusqu’ici. En tout cas, l’un des plus beaux, des plus denses et des plus intelligents que la photocopieuse Marvellienne ait pu livrer. Peut-être parce qu’il a de la personnalité, chose dont on n’avait pas forcément l’habitude. Avec Les Éternels, Chloé Zhao tend à prouver qu’elle peut tout réussir. Et dire qu’elle n’a de cesse de faire des appels du pied pour réaliser un Star Wars (et ça se voit vu les nombreux petits easter eggs dans le film)… On aurait hâte si cette seconde noce avec Disney se concrétisait.
Par Nicolas Rieux