[Note spectateurs]
Carte d’identité :
Nom : Dunkerque
Père : Christopher Nolan
Date de naissance : 2017
Majorité : 19 juillet 2017
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 1h47 / Poids : NC
Genre : Guerre
Livret de famille : Fionn Whitehead, Tom Glynn-Carney, Jack Lowden, Kenneth Branagh, Tom Hardy, Cillian Murphy, Mark Rylance, James d’Arcy…
Signes particuliers : A l’image de son histoire, c’est dans sa réussite que Nolan trouve aussi ses échecs.
L’HISTOIRE D’UNE DEFAITE VICTORIEUSE
LA CRITIQUE DE DUNKERQUE
Résumé : Le récit de la fameuse évacuation des troupes alliées de Dunkerque en mai 1940.
Fort d’un battage médiatique dès plus monstrueux, plus encore en France qu’ailleurs puisque le tournage s’est tenu sur les lieux mêmes des événements dont il se fait le narrateur 67 ans après, le nouveau long-métrage de Christopher Nolan débarquait dans les salles obscures françaises tel un char d’assaut lancé en pleine bataille estivale. Difficile de ne pas avoir entendu parler de Dunkerque, récit de l’opération Dynamo qui s’est déroulée en mai 1940 dans le nord de la France. Alors que les forces françaises, belges et britanniques étaient en proie à une gigantesque débâcle face à l’invasion nazie, près de 400.000 hommes se sont retrouvés encerclés par l’assaillant sur les plages de Dunkerque, redoutant la mort et patientant dans l’effroi, en espérant la venue de secours en provenance du Royaume-Uni. C’est dans cette défaite historique qu’une victoire qui le sera tout autant, va naître. Ou comment des centaines de milliers de soldats vont être sauvés grâce à une opération hors norme, conduite sous haute tension alors que les bombardiers allemands rôdaient et plongeaient tels des prédateurs sur des cibles immobilisées.
Des mois de promotion savamment conduite, des mois d’attente pour tous les fans du « grand » Nolan, visiblement intronisé néo-pape du cinéma moderne après sa trilogie The Dark Knight, Inception ou Interstellar, et une hype colossale en prime, renforcée par les premiers et excellents retours critiques, Dunkerque arrivait avec ce statut quasi pré-annoncé de chef d’œuvre du genre, d’immense film de guerre, d’expérience viscérale et renversante. Mouais… Avec Dunkerque, Christopher Nolan signe une espèce de Gravity du film de guerre. Comprenez par là, un film à la trame simple, efficace, observée avec un style sec, incisif et épuré, visant non pas le déroulé narratif classique, mais l’expérience immersive sous haute intensité au plus proche des événements qu’il rend à l’écran. La seule complexification à prévoir, est le choix de trois angles de regard éclatant l’espace-temps. Le premier, c’est la plage et ses centaines de milliers de victimes en sursis attendant une lueur d’espoir venue de la Manche. Le second, c’est la mer, où des bateaux civils réquisitionnés arrivent afin d’apporter leur aide. Le troisième, c’est les airs, où des pilotes de la Royal Air Force tentent d’empêcher les avions allemands de canarder la plage et les bateaux salvateurs. Trois axes, trois types de personnages, et trois situations censées résumer l’Opération Dynamo. Ah, et sinon, on nous signale dans l’oreillette que tout ce beau bazar a pu avoir lieu grâce à un quatrième axe, les lignes françaises chargées de contenir les allemands le temps que l’opération soit menée à bien. Un quatrième axe que Nolan évacue complètement de son film alors qu’il est lointainement mentionné, et c’est d’autant plus dommage car il aurait pu apporter davantage de crédibilité, d’intensité et d’émotion à un ouvrage qui semble dès lors, incomplet. On parle quand même ici d’une lutte sacrificielle où une poigne d’hommes s’est battue jusqu’à épuisement de leurs munitions pour retarder l’inéluctable ! Le sujet etait aussi puissant que poignant et héroïque, mais surtout déterminant dans l’histoire de l’opération Dynamo. Cette absence ne fait que pointer du doigt les limites historiques du film de Nolan, finalement très superficiel et anecdotique.
Mais ce ne sera pas le seul manquement à signaler dans ce Dunkerque, qui comme toujours dès qu’il s‘agit de Nolan, offre autant de bon que de moins bon. Ayant fait le choix d’une narration plus proche du documentaire que de la fiction, avec une étonnante gestion du temps donnant presque une sensation de récit faussement narré en temps réel (ce n’est pas le cas mais ce style rhétorique assez intelligent cristallise l’essentiel de la tension en présence), Nolan éclate son film les multiples axes évoqués, et de fait, suit plusieurs personnages. Pourquoi pas. Malheureusement, le cinéaste ne parvient à nous attacher à aucun d’entre eux. Certains évoqueront un parti pris du réalisateur mais l’argument s’efface de lui-même dès qu’interviennent les scènes aériennes avec Tom Hardy ou en mer avec Mark Rylance. On y sent bien que Nolan essaie d’injecter un peu d’émotion mais l’effet ne fonctionne pas une seule seconde, ses personnages restent à distance du spectateur effacés par l’histoire et la mise en scène, et si Dunkerque peut être chargé en tension (pas toujours mais parfois), il est dénué de fibre humaine.
On a coutume de dire que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les échecs de Nolan, c’est pareil. Le réalisateur voit toujours ses tentatives, pavées de belles ambitions et de nobles gestes cinématographiques. Avec Dunkerque, impossible de lui enlever un bon lot de séquences virtuoses, impossible de lui ôter des intentions admirables, notamment dans sa manière d’aborder son histoire et le genre en lui-même avec une certaine radicalité louablement différente. Mais tout a tendance à s’essouffler dans Dunkerque. La tension en premier lieu, gérée avec un souci tellement monomaniaque, qu’elle finit par s’évaporer d’elle-même à force de sur-maîtrise et de sur-signifiance. Les personnages ensuite, oubliés au profit de la Grande Histoire. Sauf que c’est souvent la petite qui nourrit la beauté de la grande. La virtuosité enfin, Nolan ne parvenant toujours pas à bien s’effacer derrière ses récits, se sentant toujours obligé de montrer son talent au point de laisser percevoir son ego de cinéaste (cela dit, il se calme un peu pour une fois). Mais attention, nul souhait d’affirmer que Dunkerque est une débâcle comparable à celle qu’il illustre à l’écran. On sait que Nolan raffole des mises en abîme mais quand même ! Le film est loin d’être un échec retentissant, loin de là. Dunkerque réussit quand même pas mal de choses, pas forcément sur la longueur et parfois contrariées par des choix discutables, mais on est loin du must du film de guerre même si l’on voit vaguement pourquoi il est parfois présenté ainsi. Comme toujours avec Nolan, l’exaltation frénétique rôde dans les parages mais « surestimé » ne veut pas dire « mauvais ». Par intermittence, Dunkerque parvient à se montrer comme une épopée humaine de grande ampleur, fort d’une impressionnante reconstitution historique et d’un sens de l’épique à portée de crédibilité. C’est juste que la maestria de la chose ne comble pas les lacunes profondes.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux