Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Bridge of Spies
Père : Steven Spielberg
Date de naissance : 2015
Majorité : 02 décembre 2015
Type : Sortie en salles
Nationalité : USA
Taille : 2h12 / Poids : 60 M$
Genre : Espionnage, Biopic
Livret de famille : Tom Hanks (James Donovan), Mark Rylance (Rudolph Abel), Scott Shepherd (Hoffman), Amy Ryan (Mary), Sebastian Koch (Vogel), Alan Alda (Walters), Austin Stowell (Powers), Mikhail Gorevoy (Schischkin), Will Rogers (Frederic Pryor)…
Signes particuliers : Spielberg s’offre une plongée palpitante dans l’univers des espions au cours de la Guerre Froide.
UN AVOCAT CHEZ LES BARBOUZES
LA CRITIQUE
Résumé : James Donovan, un avocat de Brooklyn se retrouve plongé au cœur de la guerre froide lorsque la CIA l’envoie accomplir une mission presque impossible : négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 qui a été capturé.L’INTRO :
Steven Spielberg à la réalisation, les frères Coen au scénario, Tom Hanks –l’acteur fétiche du cinéaste– devant la caméra, autant dire que la collaboration qui entourait la confection du Pont des Espions avait de quoi faire rêver d’avance. Mais parce que toutes les grandes rencontres de cinéma n’ont pas toujours accouché d’œuvres à la hauteur des attentes espérées, on était assez curieux et impatients de voir ce qu’allait donner ce « choc des artistes », d’autant que l’illustre Spielberg restait sur un effort en demi-teinte avec son biopic Lincoln, trop fade et consensuel pour espérer pleinement convaincre. Néanmoins, c’est encore à l’histoire vraie d’un « héros » de l’Amérique (plus méconnu cette fois) que s’attèle Spielberg, celle de James B. Donovan, prestigieux avocat new-yorkais, qui se retrouvera recruté par le gouvernement pour mener à bien des tractations obscures en pleine Guerre Froide, après avoir défendu devant les tribunaux, un espion russe arrêté par la CIA. Alors qu’on l’attend toujours depuis une paire années sur des projets très ambitieux tels que son arlésienne Robopocalypse, son Red Player One, voire un évoqué Indiana Jones 5 et on en passe, Spielberg poursuit dans la veine d’un cinéma moins gargantuesque (60 M$ de budget) mais pas nécessairement inintéressant. Follement cinématographique et digne d’un vrai scénario de film, l’histoire de James Donovan (Tom Hanks donc) est le 28eme long-métrage d’un Spielberg qui s’affaire toujours autant, dans une industrie devenue de plus en plus difficile, pour nous faire découvrir des histoires passionnantes.L’AVIS :
Au-delà de son appartenance au registre du biopic partiel, Le Pont des Espions est avant tout un pur film d’espionnage plongeant au cœur des tensions et de la complexité des tractations menées en pleine Guerre Froide, avec une intelligibilité formidable de clarté et passionnante d’intérêt historique. Quelque part entre le John Le Carré de La Taupe et L’Espion qui venait du froid avec Richard Burton, Le Pont des Espions n’est pas un film à grand spectacle envoyant de l’épique par surcouches, mais une œuvre emblématique de ce nouveau Spielberg qui compose avec ses néo-contraintes économiques, pour enrichir une nouvelle phase dans sa filmographie, celle recelant d’une envie d’embrasser des sujets portant un regard plus « intimiste » sur l’histoire et l’identité des États-Unis, après War Horse et Lincoln. Pas une première pour le metteur en scène de La Couleur Pourpre, mais tout film mineur qu’il peut avoir l’air sur le papier, Le Pont des Espions est une belle œuvre de cinéma dans le fond, où la virtuosité du réalisateur se traduit de façon plus discrète, plus dans la maîtrise des outils que sont l’écriture et la mise en scène. Chaque minute se mue en témoin de ce qui fait de Spielberg, l’un des cinéastes les plus importants de son époque. Chaque minute est habitée par une immense compréhension de la façon de raconter une histoire et de la porter à l’écran, pour un résultat aussi ludique que profond et significatif. Haletant davantage dans ses enjeux que dans l’action elle-même, Le Pont des Espions mise plus sur son pouvoir de fascination que sur sa dynamique, assez lente au demeurant, mais sauvée de tout possible ennui par son habileté, sa densité, et bien entendu, son sujet captivant.Jeux de pouvoirs, négociations de l’ombre, personnages embarqués dans un théâtre aux ramifications plus grandes qu’eux, relations fascinantes tissées entre les protagonistes de ce tableau géopolitique tendu, Le Pont des Espions est une excitante immersion dans les coulisses de la Guerre Froide, servie par l’immense prestation d’un grand Tom Hanks, qui n’est pas étranger à la réussite de ce nouvel effort spielbergien. Le cinéaste le plus célèbre au monde rappelle à quel point il est un conteur d’exception, à quel point son cinéma peut être capable de cristalliser le meilleur, mais aussi à quel point même ses films les plus « anecdotiques » en apparence, ont cette capacité de s’élever au-dessus de la majorité de la production hollywoodienne du moment. Et si Le Pont des Espions n’échappe pas à un certain manichéisme « patriotisé » par la dialectique du montage appuyé de certaines scènes (la juxtaposition de la différence de traitement dans les prisons russes et américaines, par exemple), il vient s’imposer comme la porte de sortie salvatrice pour un Spielberg mal embarqué depuis quelques temps dans un carrefour de carrière, hésitant entre de gros projets au milieu des exigences d’un nouvel Hollywood avec qui il a de plus en plus de mal à composer, et des entreprises plus sincères, dont la noblesse aura peut-être du mal à être reconnue immédiatement.Avec Le Pont des Espions, le cinéaste délaisse le cinéma popcorn dans lequel il a pu briller par le passé, mais affine (à 68 ans) ses nombreux talents déjà tant loués depuis des décennies. Les fulgurances virtuoses d’antan n’ont pas disparu, elles transpirent seulement de façon moins évidente, cachées derrière des plans symboliques à l’intelligence remarquable, comme cette scène d’ouverture sur un homme aux multiples visages, en train de peindre son autoportrait, avant tout une séquence de filature frôlant le génie du découpage. Mais qu’on se garde bien de croire que « Spielby » dévie vers un cinéma anecdotique ou prétentieux. L’humour délicieux qui habite avec parcimonie Le Pont des Espions, la séquence impressionnante du crash aérien, quelques passages poignants au bord du rideau de fer ou vers la fin du film, nous rappellent qui est aux commandes. Un cinéaste qui a toujours su conjuguer spectacle et fond, ici sur la justice, sur la réelle application des fameuses « valeurs américaines » qu’il est si facile de revendiquer mais moins de mettre en pratique. Tout n’est pas parfait, Le Pont des Espions vrille parfois par soubresauts (surtout dans la présentation de la vie familiale de James Donovan) mais classicisme brillant et élégante cinégénie ont vite fait de reprendre les rênes, pour mener à bon port cette réussite indéniable, hypnotisant le spectateur dans un univers que l’on vient fréquenter avec un esprit d’immersion de chaque instant. Ça faisait un moment que Spielberg ne nous avait pas autant fasciné par une œuvre aussi magnétique. Tout en suivant un chemin bordé par le conventionnalisme, le metteur en scène étincelle avec un film fort et malin, souvent génial, mais d’une autre manière, trouvant son « épique » à lui, ailleurs. Et le cinéaste de montrer qu’il a encore de nombreuses cordes à son arc. On n’a pas fini d’en apprendre. Le Pont des Espions est un effort précieux, un thriller à hauteur d’homme, doublé d’un film palpitant à l’esthétique magistrale et à l’interprétation remarquable et remarquée (à commencer par un Mark Rylance excellent en espion soviétique). Un effort qui pourra peut-être même permettre de réévaluer ses précédents War Horse, voire même Lincoln, à la lumière de ce nouveau Spielberg que l’on continue de découvrir avec bonheur.
BANDE-ANNONCE :
Par Nicolas Rieux