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CARRIE AU BAL DU DIABLE de Brian De Palma.
DVD – critique (épouvante)

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carrieaffMondo-mètre :
note 10
Carte d’identité :
Nom : Carrie
Père : Brian De Palma
Livret de famille : Sissy Spacek (Carrie White), Piper Laurie (Margaret White), Amy Irving (Sue), William Katt (Tommy Ross), John Travolta (Billy), Nancy Allen (Chris), P.J. Soles (Norma), Betty Buckley (Mme Collins), Priscilla Pointer (Mme Snell)…
Date de naissance : 1976
Majorité au : 22 avril 1977 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 1h34
Poids : 1,8 million $

Signes particuliers (+) : Un chef d’œuvre éblouissant, tout en nuances et en subtilités, dont chaque vision nourrit un peu le pouvoir de fascination de cette œuvre magistrale qui se révèle comme bien plus qu’un simple film de genre. Une véritable tragédie bouleversante et désenchantée mettant en lumière avec beaucoup de tendresse un personnage frémissant, en alliant génie d’une forme audacieuse, pureté d’une écriture fine et brute à la fois, et intelligence d’une parabole puissante sur l’adolescence et la bigoterie extrémiste. Les images magnifiques d’un De Palma transfiguré en artiste visuel, la musique envoûtante d’un Pino Donaggio des grands soirs, le symbolisme affolant d’une œuvre d’une richesse incroyable et le talent d’une Sissy Spacek abandonnée corps et âme à son personnage, donne ce classique unique et fondamental de l’histoire du cinéma.

Signes particuliers (-) : En réalité, aucune. Mais avec le recul et en cherchant bien, deux micro-maladresses seulement (une visuelle et une musicale), comme deux mini-rides discrètes sur un visage néanmoins parfait. Rien de nature à entamer son aura de perfection.

 

LE BAL DE L’HORREUR

Résumé : Tourmentée par une mère névrosée et tyrannique, la vie n’est pas rose pour Carrie. D’autant plus qu’elle est la tête de turc des filles du collège. Elle ne fait que subir et ne peut rendre les coups, jusqu’à ce qu’elle ne se découvre un étrange pouvoir surnaturel.

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S’il y a bien un réalisateur qui aura touché à tout, c’est Brian De Palma. Au point même que l’on pourrait se demander s’il ne s’en est pas fait un point d’honneur. Comédie, drame, guerre, polar, policier, thriller, fantastique, horreur, SF, documentaire, cinéma expérimental et presque le western selon comment on aborde Les Incorruptibles… En 45 ans de carrière, le cinéaste aura bâtit une filmographie impressionnante jalonné de classiques du cinéma américain, de Scarface à L’Impasse, de Outrages à Pulsion, de Blow Out à Snake Eye, en passant par Mission Impossible, Furie… En 1976, De Palma venait d’entrer dans sa période la plus faste, celle où il allait conquérir ses galons de cinéaste majeur de son temps. Durant plus d’une vingtaine d’année, il va enchaîner les chefs d’œuvre comme un forcené travaillant à la chaîne. Derrière lui, déjà deux œuvres marquantes avec Sœurs de Sang et Obsession, sans compter ces géniaux premiers films bricolés. Deux films qui dessinent le talent d’un bonhomme fait pour le thriller esthétisé. Mais avant d’entamer de bien glorieuses années 80, De Palma signe ce qui restera probablement comme l’un des meilleurs films de sa carrière, aux côtés d’une sacrée poignée d’autres tout aussi brillants. Il s’empare d’un roman du maître de l’horreur, monsieur Stephen King, et signe l’adaptation de Carrie, trauma des années 70 et perle du cinéma de genre, probablement l’un de ses plus grands représentants.

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 Film culte multi-récompensé appartenant désormais à l’histoire du cinéma, Carrie au Bal du Diable est l’adaptation du tout premier roman de Stephen King. Pour les besoins de sa version cinéma, Brian De Palma n’hésitera pas à totalement s’approprier l’ouvrage du romancier, le remaniant selon sa vision, enlevant des passages entiers, changeant des points majeurs, rajoutant des éléments issus de son imaginaire partagé avec le scénariste Lawrence Cohen (futur auteur du diptyque « king-ien » qui a terrorisé une génération entière avec le clown de Il est Revenu). Le résultat est quasi-parfait, peut-être même plus que le matériau littéraire originel qu’il retravaille avec brio. Et cette perfection n’est pas loin d’être indissociable du casting qui anime cette terrible histoire dramatico-fantastique. La prestation de la jeune héroïne Sissy Spacek en tête, littéralement frémissante tant elle s’abandonne corps et âme à son personnage d’adolescente raillée par ses camarades de classe, presque torturée et écrasée psychologiquement par sa bigote de mère. Une mère campée avec génie par une Piper Laurie habitée alors que de jeunes beautés des années 70 comme Amy Irving ou Nancy Allen représentent le carcan social scolaire. Le jeunot John Travolta est également là dans un rôle secondaire mais au combien important, Betty Buckley trouvait son premier rôle au cinéma avec la professeur Collins et William Kat est le jeune premier Tommy Ross à la légendaire tignasse blonde et au sourire email diamant.

CARRIE

Carrie au Bal du Diable fait partie de ces grandes œuvres puissantes et fondatrices du cinéma de genre des années 70, au moins aussi forte qu’un L’Exorciste ou un Halloween, chacun respectivement dans leur registre. Mais plus qu’eux, c’est avant tout une œuvre unique, singulière, semblable à aucune autre et surtout, qu’il serait littéralement impossible à recréer, même avec le plus grand des talents. S’il avait eu l’occasion de verser dans ce type de cinéma, Hitchcock lui-même ne l’aurait pas renié. Argento non plus d’ailleurs, ce qui ne manquera pas d’alimenter l’éternel débat qui les oppose, quant à savoir qui a copié qui même si là-dessus, la question semble tranchée. Carrie pourrait être rapproché de certains des giallos du maître italien mais dans le même temps, de Suspiria quelque part, qui toutefois date d’un an après. Clairement, Hitchcock reste la véritable connexion de ces deux artistes, génies distants chacun dans leur patrie. D’ailleurs, De Palma ne cache pas références avec Carrie, du nom de l’école « Bates High School » à certains plans de réalisation, en passant par l’importance accordée à la musique, que Bernard Herrmann devait d’ailleurs composer avant que Pino Donaggio ne s’en charge (et avec quelle maestria) suite au décès du musicien. Un court passage sera d’ailleurs un hommage direct, reprenant une partition de Psychose.

small_421596(s’il n’y a pas du Hitchcock là-dedans !)

Œuvre iconique par excellence, le film Carrie détourne le roman de Stephen King pour le porter à un niveau nettement plus empreint de symbolisme et de subtilité, et ce à tous les niveaux. De Palma trahit le livre pour imprégner son film d’une atmosphère psychologique plus dramatique, plus torturée, plus émotionnellement étourdissante (la furie de Carrie se concentre seulement sur ses camardes et non pas sur la ville toute entière, contrairement au roman, changeant ainsi les enjeux autour de l’évolution et de l’appréhension du personnage, de même que sa relation avec sa mère est plus étoffée et troublante, dans un mélange d’amour et de colère, là où le livre était plus terre-à-terre avec la ferme volonté de la jeune adolescente d’en découdre avec son « tyran » suite au bal). Le résultat tire sa puissance de sa propension à développer ses ramifications comme une toile magistrale, tissée entre le drame poignant, le thriller fantastique haletant et le film d’horreur tétanisant. De Palma chérit son personnage de jeune femme brimée, psychologiquement et physiologiquement tiraillée entre sa douceur, sa naïveté et la dureté sans pitié du monde extérieur, la hissant à un haut niveau de martyr suprême tant de la cause adolescente des faibles d’une jeunesse scolairement tyrannisée dont elle est l’emblème, que de la bigoterie obscurantiste imposant son dogmatisme extrémiste caractérisé. Ecartelée sur tous les fronts, ne trouvant jamais le repos et la paix, que ce soit dans l’enfer du monde extérieur ou dans l’austère cocon familial, son destin s’inscrit forcément en rouge sang sur les pages d’une tragédie prévisible. Le pouvoir cruel et pressurisant que tous exerceront sur sa personne durant une vie faite de chaos et de malheurs, finira par nourrir sa volonté de faire face. Le jour où la jeune et belle Carrie aura à son tour un pouvoir à exercer sur autrui (la métaphore sociale est évidente, de même que le parallèle entre les changements physiques du corps et l’apparition des pouvoirs lié à la montée du passage de l’âge jeune et faible à l’âge adulte plus solide), elle pourra à son tour le retourner contre ses tyrans dans un déversement de colère entré dans la légende du cinéma. En cela, Carrie est un étrange récit initiatique qui narre une évolution salvatrice marquée par une fin désespérée.

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Avant d’être un film d’horreur populaire, Carrie au Bal du Diable est avant tout un drame lourd et pesant. Une véritable tragédie intimiste centrée sur une « pauvre personne », un gibier jetée en pâture dans les griffes de la méchanceté, consciente (ses camarades) ou inconsciente (sa mère, dévote folle). Le film de Brian De Palma brosse un double-portrait, celui de la méchanceté de l’enfance et de l’adolescence, faisant voler en éclat l’innocence présumée de cette période difficile pour certains -les faibles opposés aux forts- et celui de l’extrémisme religieux symbolisé par les références à Saint Sébastien (martyr romain chrétien du IVème siècle souvent représenté comme Piper Laurie à la fin du film). Emmené par une fascinante Sissy Spacek, troublante de beauté sourde et atypique, ce monument du genre est terriblement triste et mélancolique, dessinant son horreur d’abord dans le drame bouleversant avant de basculer dans le graphique via cette scène du bal, éblouissant moment de cinéma virtuose à s’en damner les pupilles où De Palma fait parler sa créativité, son inventivité, dans une séquence qui, à l’image du film tout entier, est d’une modernité à faire pâlir. tumblr_m8vwnjbCkV1re4uqoo1_1280Si deux ou trois maladresses montrent que le film a pris quelques années, l’ensemble reste néanmoins un chef d’œuvre unique, d’une perfection déboussolante, qui fait grandement effet encore aujourd’hui. La pureté de l’écriture qui se pare d’une simplicité incroyable pour illustrer avec subtilité sa richesse de fond, les nombreuses audaces d’un De Palma seulement au début du sommet de son art, la richesse formelle d’une œuvre qui fourmille de détails disséminés que les nombreuses visions révèlent, la force dévastatrice de son histoire et de ses personnages, la tendresse nouante qui entoure cette âme en peine meurtrie par le drame qu’est sa vie et sa destinée… Carrie au Bal du Diable est un classique fiévreux, une boule au ventre envoûtante, un souffle libertaire (quelle introduction hallucinante dans les vestiaires, d’une impertinence qu’il serait impossible à reproduire) mais surtout, une œuvre magistrale et à fleur de peau, d’une intensité ravageuse. Le film n’a pas pris une ride (mis à part deux micro-maladresses, comme deux mini-rides discrètes sur un visage néanmoins parfait. Une musicale d’abord, avec une mélodie comique utilisée à deux reprises qui sonne un peu datée, et une visuelle, avec la scène du choix des costumes à la réalisation décalée un peu « étonnante » et détonante dans l’homogénéité du film) et conserve encore intrinsèquement toute sa force dérangeante. Seule la perception change. Jeune, on y verra probablement un magnifique film d’horreur excitant et différent, bravant des interdits et des tabous et mené sur un tempo laissant peu de place à l’ennui. Plus adulte, une trajectoire désenchantée empreinte d’une profonde douleur que l’on contemple le cœur serré avec une empathie terrible pour cette jeune adolescente suscitant un chagrin irrépressible avec son besoin d’amour dénié et sa colère destructrice sondant les abysses d’une tragédie fataliste. Somptueux, émouvant, intelligent, Carrie au Bal du Diable reste et restera comme l’un des plus grands chefs d’œuvre de l’histoire, et pas seulement que du cinéma de genre.

Bande-annonce :

Par Nicolas Rieux

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