Mondo-mètre
Carte d’identité :
Nom : Boyhood
Père : Richard Linklater
Livret de famille : Ellar Coltrane (Mason Jr), Lorelei Linklater (Samantha), Patricia Arquette (Olivia), Ethan Hawke (Mason Sr), Nick Krause (Charlie), Evie Thompson (Jill), Tamara Jolaine (Tammy), Jordan Howard (Tony)…
Date de naissance : 2014
Majorité : 23 juillet 2014 (en salles)
Nationalité : USA
Taille : 2h43
Poids : Budget NC
Signes particuliers (+) : A projet unique, film unique. Boyhood est plus qu’une vaste fresque cinématographique, c’est un miroir tendu sur notre vie à tous, véritable réflexion extraordinaire sur la période la plus symbolique et fondatrice de l’existence : l’adolescence et les transformations qui s’y opèrent. Un coup de coeur.
Signes particuliers (-) : Quelques petits clichés et facilités d’écriture.
LE FILM DE NOTRE VIE ?
LA CRITIQUE
Résumé : Chaque année, durant 12 ans, le réalisateur Richard Linklater a réuni les mêmes comédiens pour un film unique sur la famille et le temps qui passe. On y suit le jeune Mason de l’âge de six ans jusqu’ à sa majorité, vivant avec sa sœur et sa mère, séparée de son père. Les déménagements, les amis, les rentrées des classes, les premiers émois, les petits riens et les grandes décisions qui rythment sa jeunesse et le préparent à devenir adulte… L’INTRO :
C’est presque le projet d’une vie qui se matérialise enfin pour Richard Linklater avec l’accouchement de Boyhood, film réalisé sur une période tellement longue, qu’il pourrait en rendre jaloux les Wong Kar-wai et autre Terrence Malik. Imaginez… Un film tourné sur douze ans, entre 2002 et 2014 ! Douze années durant lesquelles le cinéaste est régulièrement revenu à son long-métrage, chaque année, d’année en année, pour le continuer, le compléter, au fur et à mesure que ses comédiens grandissaient et vieillissaient dans la vie réelle. On croyait qu’il n’y avait guère que Les Feux de L’Amour pour faire pareille chose. Et non, il y a aussi Richard Linklater. (voir la très intelligente bande-annonce)
L’AVIS :
Boyhood, c’est l’histoire d’une famille et plus particulièrement l’histoire du jeune Mason Junior, que l’on prend à ses 6 ans et que l’on va accompagner jusqu’à ses 18 ans, durant presque trois heures d’une fresque fleuve, au travers d’une enfance puis d’une adolescence, partagées entre moments de joie, de peine, d’espoir, de doute, de questionnement, de recherche de soi… De ses liens amicaux à ses problèmes familiaux, de ses premiers émois à ses premières passions, de ses réussites à ses échecs, de ses déracinements à ses attachements, de ses coups de cœur à ses déceptions… Boyhood est une sorte de grande saga intimiste sur la vie d’un jeune garçon devenant adulte, vecteur pour nous spectateur, d’une longue peinture des années fondatrices de l’existence doublé d’un pan de l’histoire américaine récente. Et cinématographiquement, c’est un projet unique. L’ensemble du casting aura joué le jeu de se réunir annuellement pour continuer ce pari fou. Le jeune Ellar Coltrane, par exemple, avait 7 ans au moment du premier coup de manivelle. Il en a 19 aujourd’hui. Entre temps, chacun a vaqué à ses projets, certains restant tout de même dans le giron de Linklater à l’image de son fidèle ami Ethan Hawke, qui entre deux sessions de prises de vues de Boyhood, aura tourné avec lui Before Sunset et Before Midnight. Mais tous ont ménagé du temps dans leur vie et emploi du temps, pour une fois par an, revenir à cette incroyable folie de ne pas changer les comédiens au fur et à mesure des époques de leur vie, de ne pas les maquiller en conséquence, mais de faire Boyhood en temps réel. Ellar Coltrane (Mason Jr) et Ethan Hawke (le père) donc, mais aussi Lorelei Linklater (Samantha, la sœur), la propre fille du metteur en scène, ou encore Patricia Arquette (la mère) et quantité de seconds rôles récurrents tout au long de l’aventure. Et à projet dingue, résultat épatant…
Richard Linklater est un cinéaste existentiel, où plutôt un « cinéaste de l’existence », qui aime à capter des « moments » qui construisent des personnages et leur avenir. Des moments simples et symboliques à la fois, personnels et universels, anecdotiques et riches. Il aura filmé le couple comme personne au travers de sa trilogie des « Before » (Sunrise, Sunset et Midnight), racontant l’évolution de Jesse et Céline (Hawke et Delpy) sur 18 ans. Cette fois-ci, Linklater remonte le temps, avant la vie de couple, et évoque la jeunesse et l’adolescence, cette période émotionnellement forte et majeure où l’être humain se construit, construit ce qu’il va être. Et l’artiste le fait avec talent monstre, lui le virtuose de la justesse. Boyhood est comme le film de notre vie, pour nous tous. Car une fois de plus, Linklater voit clair. Le metteur en scène parvient à toucher du doigt toutes les petites choses de l’adolescence avec une acuité indéniable. Tout le cinéma de Linklater est là. Cette capacité à capter les petites particules qui ensemble forment la densité et la chair de son sujet. On reconnaît tout dans ce parcours balisé par lequel on est pratiquement tous passés. Tout nous semble si familier dans cette œuvre magnifique et ambitieuse, tour à tour drôle, émouvante, dure, tendre… Une œuvre qui parlera à chacun. Car si l’on ne se reconnaîtra pas forcément dans chaque chose, le vecteur, les grandes lignes et un amoncellement de petits moments nostalgiques et résonnants ne manqueront pas de nous interpeller, de nous amener à nous remémorer.
Subtilement génial, Boyhood adopte une construction cinématographiquement étonnante et audacieuse. Car de prime abord, ce sont ses innombrables défauts qui s’affichent alors que le film marche sur les traces de C.R.A.Z.Y avec cette fâcheuse impression de loupé structurel. Impression de décousu, de juxtaposition abrupte et sans liant, de jeu de maçonnerie aux finitions bâclées dans la transition entre tous ces moments collés dans un patchwork aux allures de grande fresque définitive sur l’adolescence. Boyhood joue de l’ellipse permanente, opère des sauts, tantôt petits, tantôt plus grands, emboite des moments clipsés les uns à la suite des autres comme autant de saynètes de vie mises bout-à-bout dans un tout manquant d’homogénéité et de fluidité. Le portrait d’ensemble ne se dessinera dans toute sa splendeur que plus tard, lorsque l’on saisira le but de l’effort, alors que le film déploie sa magie opératique. Toute l’essence de Boyhood va se résumer en une scène bouleversante entre une mère et son fils sur fond de dispute autour d’une première photo capturée. La vie est longue. Elle est faite d’un enchaînement de moments clés ou anecdotiques, mais dans tous les cas fondateurs. Et au final ? Au final, on n’en a jamais assez. On en voudrait encore un peu. Juste encore un peu. Rétrospectivement, on se remémore des instants, des évènements, on en oublie d’autres, mais ce que l’on garde en tête à l’arrivée, nous semblera toujours trop fugace, trop peu, trop court, nous humains insatiables. Et Boyhood d’être une sorte de portrait fragmenté d’une partie de l’existence construit à partir des souvenirs les plus marquants d’une expérience de vie.
Par l’entremise d’une période fondatrice de qui l’on sera bientôt, plus tard ou bien bien plus tard, car l’homme est un perpétuel changement évolutif, Richard Linklater philosophe sans prétention aucune sur la vie. Quand commence t-elle vraiment ? Quand finit t-elle ? Comment devrait elle être vécue ? Comment et pourquoi change t-on ? Comment devient-on ce que l’on est ? Mais tout ça sans jamais se montrer ni sermonneur ni sentencier. Boyhood ne cherche jamais à imposer une ou des vérités uniques. Sobre, simple, il est un miroir tendu vers nous-même, qui rétroactivement nous fait comprendre des choses, éclaire le regard, éclaire le chemin que l’on a pu parcourir. Alors oui, il aura fallu pas loin de 2h45 pour cela. Mais en toute honnêteté, Boyhood aurait pu faire une heure de moins comme il aurait pu faire une heure de plus. Qu’importe. Car ce genre d’œuvre magistrale dépasse les lois du temps. Le temps qu’il nous prend, il nous le rend par sa qualité et par sa faculté à nous amener à revoir et analyser toute notre vie. C’est ce que l’on peut appeler du très grand cinéma, du genre à se mûrir dans la tête et dans le cœur, et à se bonifier comme du bon vin. Et même si quelques clichés et facilités d’écriture, notamment dans la caractérisation des personnages, s’invitent à la fête, heureusement, jamais ils ne plombent le brio de l’exercice. Un foudroyant coup de cœur qui reste en tête longtemps.
Bande-annonce :
Par Nicolas Rieux