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DOSSIER 137 de Dominik Moll : la critique du film [Cannes 2025]

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Nom : Dossier 137
Père : Dominik Moll
Date de naissance : 19 novembre 2025
Type : sortie en salles
Nationalité : France
Taille : 1h55 / Poids : NC
Genre : Policier

Livret de Famille : Léa DruckerGuslagie MalandaMathilde Roehrich

Signes particuliers : Solide mais en-dessous de La Nuit du 12.

Synopsis : Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité… Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro.

AUTOPSIE D’UNE BAVURE

NOTRE AVIS SUR DOSSIER 137

Trois ans après le remarquable succès du non moins remarquable La Nuit du 12, le réalisateur Dominik Moll est de retour avec Dossier 137, un nouveau « film policier » très attendu, porté par Léa Drucker et présenté en compétition officielle à Cannes. Plus qu’un film policier, c’est surtout un film sur la police que signe le metteur en scène avec cette histoire d’enquête menée par une inspectrice de l’IGPN sur une possible bavure commise par des flics durant les manifestations des Gilets-Jaunes. Un jeune homme a été grièvement blessé par un tir de flash-ball et Stéphanie traite la plainte et doit en déterminer les responsabilités.

Le festival de Cannes a souvent donné cette impression d’arriver après la bataille, et de chercher à se rattraper un poil trop tard quand le train est déjà passé. Ce n’est pas la première fois qu’il loupe une évidence et que sa compensation « la fois d’après » tombe à contrecoup. Combien de fois a t-on vu un cinéaste récompensé pour un film qui ne le méritait pas forcément alors que celui d’avant était un immanquable ? Fascinant et obsédant, La Nuit du 12 n’avait pas connu les honneurs de la compétition officielle… avant d’être largement distingué aux César. Le film d’après, ce Dossier 137, semblait réparer une petite erreur de jugement. Sauf que Dominik Moll ne signe pas cette fois un film indéniablement taillé pour la compétition reine.

Pourtant, tout commençait bien. Dès son entame, Dossier 137 impose une allure clinique, jouant avec la vivacité d’un mélange de mise en scène solide et distancée et de vidéos amateurs ou de caméras de surveille. Stéphanie, cette inspectrice de la police des polices, mène son enquête avec l’autorité et la rigueur requise par sa posture dominante. Dominik Moll capte sa froideur impartiale nécessaire, tente de dimensionner sa position délicate de collègue enquêtant sur les collègues, insiste sur l’explosivité d’un contexte (la gronde des Gilets-Jaunes face aux dérives de tous bords). Le cinéaste impose un regard factuel, passionnant dans ses enjeux (protéger les citoyens sans incriminer trop facilement des forces de l’ordre débordées). L’exercice était politiquement périlleux car il ne s’agissait pas non plus de tirer à boulets rouges sur des policiers qui ont traversé l’enfer, expédiés en première ligne par leur hiérarchie, attaqués par leurs opposants et condamnés à évoluer sur un fil entre gestion  d’une poudrière et contrôle de l’ordre. Moll essaie surtout d’éviter le manichéisme facile des gentils manifestants contre les méchants policiers. Son héroïne est une garante d’un équilibre entre le devoir et la justice. Du sujet aux protagonistes, Dossier 137 pouvait compter sur un socle thématique passionnant le talent de Moll était d’y orchestrer une réthorique à la hauteur.

Et c’est le cas. Dossier 137 est un film policier qui questionne le métier tout en ménageant un suspens et une efficacité indéniables. Dominik Moll ficèle bien son entreprise sous très haute tension, maîtrisant tant sa structure que sa conduite ou sa mise en scène capable de quelques bonnes inspirations pour éviter les passages les plus fastidieux du traditionnel film à enquête. Surtout, le cinéaste tient cette intelligence de la confrontation des points de vue en laissant parler discours et contre-discours, plainte et défense, premier niveau de lecture évident et second niveau plus complexe où des considérations politiques viennent interférer. Condamner la police pour ses bavures semblent juste… mais grand est le risque de jeter en pâture un corps de métier très exposé (et sur-épuisé) par une hiérarchie les envoyant sans bouclier contre la vindicte populaire. C’est dans ce trou de souris réflexif que Dossier 137 est le plus passionnant, quand il infiltre les arcanes de la gestion politique pour analyser une situation en prenant une hauteur dimensionnant toute sa périlleuse complexité. Faire payer aux policiers leurs erreurs sans donner l’impression à la police en général qu’ils sont lâchés quand ils ont fait ce qu’on leur a demandé de faire.

L’ennui avec Dossier 137, c’est qu’on sent que Dominik Moll aurait pu faire mieux. Plus le film progresse, plus ses enjeux deviennent intéressants sur la forme comme sur le fond, et plus le cinéaste perd un peu le fil. Par moments, Dossier 137 ploie sous son didactisme, à d’autres il patauge dans la sur-écriture avec notamment ses tentatives d’humaniser ses personnages par l’intime (la vie privée de l’héroïne par exemple, ses origines, sa situation familiale). Et enfin, il y a l’enquête en elle-même, qui n’échappe pas à des facilités narratives bien commodes quand le scénario se retrouve coincé dans une impasse. Autant de petits détails qui amenuisent un peu la qualité d’un film que l’on aurait aimé voir garder son côté clinique et distancé du début plutôt que de s’égarer parfois dans de la pure dramaturgie. Néanmoins, Dominik Moll signe un film valeureux, captivant et intense, impeccablement porté par Léa Drucker, et qui en dit long sur une France fracturée en proie à des tensions cicatricielles.

 

Par Nicolas Rieux

 

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