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TU SERAS MON FILS (critique)

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Nom : Tu Seras mon Fils
Parents : Gilles Legrand
Livret de famille : Lorànt Deutsch, Niels Arestrup, Patrick Chesnais, Anne Marivin, Nicolas Bridet, Valérie Mairesse, Jean-Marc Roulot, Urbain Cancelier…
Date de naissance : 2011
Nationalité : France
Taille/Poids : 1h42 – 6 millions $

Signes particuliers (+) : Passionnante plongée dans le monde viticole. Des comédiens talentueux. Un scénario, parfois facile, mais intéressant. Très documenté. Une belle tragédie filiale dans un univers méconnu.

Signes particuliers (-) : Une esthétique et des ambitions un peu trop téléfilmées.

 

UN VIN VAUT MIEUX QUE DEUX TU L’AURAS

Résumé : Paul de Marseul tient d’une main autoritaire, passionnée et exigeante, son réputé domaine viticole sur les terres de Saint-Emilion. Si son activité est toute sa vie, Paul n’a qu’un regret, qu’une frustration : son fils Martin. Ce dernier essaie de tout faire pour plaire à un père intransigeant mais Paul ne voit pas en lui un successeur, un connaisseur, un fils talentueux capable de reprendre les rennes de l’exploitation. Avec le retour de Philippe, le fils de son régisseur François, les jalousies et les mesquineries vont s’accroître…

Amateur occasionnel d’œnologie, le cinéaste Gilles Legrand a cette idée pourtant toute simple et finalement à la fois originale, de se pencher sur l’un des plus grands trésors de notre pays, le vin. Si la France a une renommée mondiale en la matière et se place parmi les plus réputés et prolifiques producteurs, rarement le cinéma n’aura pris la peine d’approcher de ce domaine mystérieux, raffiné, complexe, exigeant, passionné et passionnant. Et c’est donc huit ans après le délicieux Sideways d’Alexander Payne que le metteur en scène français (auteur de La Jeune Fille et les Loups en 2008) vient promener sa caméra entre les vignes, la terre, les châteaux bordelais, les caves et leurs immenses fûts et surtout, vient approcher de ces hommes particuliers qui animent ce milieu, des hommes certes fictionnalisés mais pourtant transpirant l’authenticité, le connu et le vécu.

Par souci de véracité, d’immersion, de saveur réelle, Gilles Legrand s’est plongé dans ce milieu érigé en tradition française. S’attachant les services d’une journaliste spécialisée en œnologie, c’est en sa compagnie que le réalisateur va sillonner la Gironde et la Bourgogne à la rencontre de viticulteurs de métier, de renom, de passion, pour mieux cerner toute l’essence d’une profession particulière où finalement l’exigence est une caractéristique primordiale et la production est élevée au rang d’art à maîtriser avec le temps et l’expérience.

Tu Seras Mon Fils nous plonge donc dans un grand domaine bordelais et nous montre sa façade réjouissante, luxueuse, distinguée, son exigence et tout le savoir-faire requis pour atteindre autant d’excellence en la matière. Mais par un basculement de caméra, Gilles Legrand nous fait aussi passer de l’autre côté du miroir vers un drame filial profond, une histoire d’amour et de désamour entre un père et son fils. Amour, comme le seul et unique lien qui lie et noue Paul de Marseul (exceptionnel Niels Arestrup) à son vignoble, à sa passion. Amour inconditionnel, Paul est de ces hommes pour qui son œuvre, sa terre, représente tout, bien au-delà de la famille, des sentiments humains. Paul est de l’ancienne génération, celle attachée aux racines de la terre plus qu’à tout mais aussi attaché à des valeurs ancestrales que les siens érigent en code au risque de faire des ravages, de faire du mal, de détruire sans s’en rendre compte. Désamour… Comme la relation qui relie Paul à son fils Martin, jeune homme cherchant, comme tout fils, à plaire à un père froid et tyrannique, dénué de tout sentiment paternel, dénué de tout amour filial. Pour Paul, Martin n’est qu’un incapable, un fils indigne de reprendre sa succession. S’il ne le déteste pas, il n’y est en tout cas pas spécialement attaché. Car son domaine passe avant et Martin, ne fait pas partie à ses yeux de ce domaine. Et pourtant… Et pourtant Martin fait tout pour essayer, pour convaincre son père de lui donner sa chance. Mais les convictions ont parfois la tête dure et pour Paul, Martin n’est pas de ce bois là. Le retour d’un fils prodigue, celui du régisseur de toujours du domaine, François, seul véritable ami de Paul, va alors être le détonateur d’un drame, l’élément déclencheur, l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres…


Tu Seras Mon Fils
est à la fois un drame poignant en forme de tragédie familiale douloureuse et dans le même temps, une belle peinture du milieu viticole sous forme de (presque) documentaire passionnant, davantage sur les hommes que sur la tête et la méthode. Gilles Legrand nous montre les valeurs qui animent ces hommes cachés derrière les grands crus. Des hommes vivant pour et par des notions telles qu’excellence, grandeur, réussite, perfection, mais aussi héritage du savoir, passion intransigeante et intrinsèque. Si son film a par moments la facture d’un téléfilm très marqué « France Télévisions » par ses allures d’œuvre mineure sur le terroir, quelque peu engoncée dans le carcan de la représentation de nos contrées et de nos traditions à la française, Gilles Legrand parvient néanmoins à signer un drame intéressant où ses personnages parviennent à exister avec souffle et puissance. Lorànt Deutsch campe à merveille ce frêle fils écrasé sous le poids d’un père charismatique et fort, fils peinant à exister, à se faire entendre, sans arrêt rabaissé et accentuant en quelque sorte sa condition par son absence de révolte et de personnalité. Car c’est bien là toute la force du métrage de Legrand. Sans jamais verser dans le manichéisme basique, le cinéaste parvient à présenter et à agencer une galerie de personnages jamais figés dans le carcan de leur rôle dans l’histoire. La liberté d’expression, de manœuvre, permet à chaque personnage de gagner en crédibilité car existant plus que n’occupant un simple rôle fonctionnel. Ainsi, aucun protagoniste n’est foncièrement méchant ou gentil, empathique ou détestable. Paul de Marseul est un mauvais père mais que l’on se prête parfois à ne pas détester vraiment voire à comprendre. Car finalement, il aime son fils… Le seul ennui, c’est que ce fils de cœur, ce n’est pas Martin, c’est sa terre, sa vigne, son domaine. Plus pathétique humainement que réellement méchant, Paul ne se rend pas compte du mal qu’il cause et l’on en vient presque à le plaindre de ne pas avoir ce qu’il souhaiterait tant à savoir un fils à son image, un successeur. Il ferait presque penser en cela à ces pères qui croisent les doigts pour avoir un « fils » et qui ne peuvent, involontairement, cacher leur semi-déception en apprenant que ce sera une fille. Car ce sont des rêves de partie de football ou de baseball, de conseils drague, de plaisirs entre « mecs » qui s’envolent. Paul a ce ressenti. Son fils n’est pas comme lui et ça le mine intérieurement. De son côté, Martin a tout du fils brimé que l’on voudrait plaindre de sa triste condition de rejeton mal-aimé. Mais sa mollesse, son absence de révolte, son absence de réaction virile, sa façon de courber l’échine pour encaisser les coups et les moqueries, le rende presque partiellement responsable également de son tragique sort actuel. On le plaint mais en même temps, on voudrait presque l’accabler. Et c’est ainsi pour chaque personnage. Doit-on en vouloir à Philippe Hamelot, le fils du régisseur (très bon Nicolas Bridet, remplaçant au pied levé le prévu et défunt Jocelyn Quivrin), de prendre autant de place et même LA place de Martin ? Il n’a rien demandé après tout et se retrouve malgré lui emporté par une tempête et un conflit qui le dépasse…

Tu Seras Mon Fils est au final une belle surprise captivante, peut-être un peu trop dramatique, peut-être un peu renfrogné par son aspect télévisuel et son manque d’ambition cinématographique mais… Mais fort d’un casting de talent, complété par un Patrick Chesnais tout en retenue, une Valérie Mairesse touchante et une Anne Marivin forte en caractère, voilà enfin un beau drame français soufflant des sentiments violents, rugueux et âpres, laissant avec profondeur un amer goût de vin bouchonné à un cru à la robe corsée et intense. Une réussite certes parfois brouillonne, certes manquant d’ambition mais s’il s’agit là d’un petit film alors il s’agit en contrepartie d’un très très grand téléfilm.

Bande-annonce :

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