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NO (critique)

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Nom : No
Père : Pablo Larraín
Livret de famille : Gael Garcia Bernal (René Saavedra), Antonia Zegers (Veronica), Alfredo Castro (Lucho Guzman), Marcial Tagle (Alberto), Luis Gnecco (José Urrutia), Roberto Farias (Marcello)…
Date de naissance : 2012
Nationalité : Chili, États-Unis
Taille/Poids : 1h57 – Budget NC

Signes particuliers (+) : Un récit à vif mêlant histoire et intemporalité, intimisme et généralité, regard sur un pays et thématique sans frontières, par sa façon de mélanger exorcisation du passé chilien et discours sur le pouvoir de la communication dans le monde moderne.

Signes particuliers (-) : Un récit trop centré sur un seul axe de vision, faisant l’impasse sur certains points qui auraient mérité d’être intégrés pour que le film soit définitif sur son sujet.

 

SI, ET PLUTÔT DEUX FOIS QU’UNE !

Résumé : Chili, 1988. Sous la pression internationale, le dictateur Augusto Pinochet s’engage à faire un référendum pour son maintien à la tête du Chili. Dans un pays où l’expression est dictée par la censure, il accorde à l’opposition quinze minutes d’antenne quotidienne pour défendre leurs idéaux. S’engage alors une campagne pour le « non » qui devra être ingénieuse pour contourner les problèmes…

Avec No, le cinéaste chilien Pablo Larraín boucle une boucle entamée il y a de cela cinq ans, lorsqu’en 2008, il signait Tony Manero, un film sur la période la plus violente de la dictature de Pinochet. Deux ans après, Santiago 73, Post Mortem revenait sur les origines de cette dictature. 2013, No parle de sa fin, de la chute du régime. Plus précisément, le film revient sur un fait unique au monde, ou comment un dictateur a dû abandonner le pouvoir après un référendum démocratique ! Deux idées complétement opposées et pourtant…

1988, Chili. Sous la pression des gouvernements étrangers, le général Pinochet cède et finit par accepter qu’un référendum soit organisé pour décider de son maintien à la tête du pays. Il avait le pouvoir, le charisme, il était craint, l’opposition réduite au silence depuis des lustres était un danger très limité… Pinochet semble être tranquille et serein et ne prenait guère de risque dans sa démarche tout en contentant les observateurs étrangers. D’autant qu’il n’accorde alors à ses adversaires, que quinze minutes d’antenne quotidienne à la télévision pour exposer et défendre leurs idées (dans un pays d’ordinaire régi par une censure étatique) et que pardessus le marché, il les tient à l’œil grâce à sa police et à ses hommes. Pinochet réélu ? Une formalité, le Dictateur ne s’étant pas lancé dans cette entreprise « démocratique » tronquée, de façon inconsidérée. Sauf que voilà, l’histoire du monde est faite de revirements inattendus, de surprises, d’extraordinaire et d’incroyable. L’opposition va ruser, va se servir des contraintes pour en faire des atouts. Au lieu de se borner bêtement à essayer de descendre un homme qui, de toute façon, aura le dernier mot ou l’imposera si toute cela va trop loin, les équipes partisanes du « non » à la reconduite de Pinochet à la tête de l’Etat vont faire appel à un jeune et brillant publicitaire qui va savoir les convaincre de ne pas axer la campagne sur le bilan de Pinochet mais sur l’avenir, sur l’après-Dictature, en vendant le rêve et l’espoir d’un futur meilleur aux chiliens. Une campagne audacieuse, comportant une grosse prise de risque mais qui va se révéler d’une intelligence incroyable. D’une, parce qu’elle aura le mérite de faire passer un message puissant avec finesse et malice en usant du pouvoir enfin compris des images et de la communication et de deux, parce qu’en évitant de s’en prendre directement et frontalement au chef autoproclamé de la nation, les équipes de l’opposition vont pouvoir avancer masquées, sans trop se faire cerner et descendre par le pouvoir en place qui n’attendait qu’un dérapage pour les réduire au silence. C’est sur l’incroyable histoire de cette campagne et des méthodes innovantes utilisées que revient No, le cinquième film de Pablo Larraín. Emmené par une « star » en la personne de l’acteur mexicain Gael Garcia Bernal qui prêtera ses traits au publicitaire René Saavedra, derrière cette révolution par le langage de l’image, cette petite pépite authentiquement chilienne (mais coproduite avec les Etats-Unis) arbore fièrement ses couleurs et surtout, participe de la perdurance du besoin d’exorciser ce passé douloureux encore à vif au Chili, comme une plaie non cicatrisée et qui reste à soigner.

C’est d’ailleurs du cinéma « à vif » que signe là Pablo Larraín, du cinema mordant, engagé voire enragé, qui a besoin de revenir sur le passé, de dénoncer, d’exprimer, de clamer, de révéler. Maintenant que cette époque commence à s’éloigner, le Chili semble avoir en lui suffisamment de traumatismes, de non-dits et de colère pour laisser exploser librement sa rage de crier sa douleur. Pour ça et pour que cela n’arrive plus. Alors d’un côté, il y a ceux qui font un devoir de mémoire, un travail de recherche et de communion endeuillée par le biais du documentaire, comme le documentariste Patricio Guzman (voir le très beau Nostalgie de la Lumière) et de l’autre, il y a ceux qui, par la fiction, reviennent sur ce passé et profitent enfin de pouvoir librement dire les choses, exprimer ce qu’il s’est passé et le montrer à la face du monde. Ne pas oublier que la liberté de parler, d’hurler sa douleur n’est pas donnée à tout le monde et n’était notamment pas donnée à un peuple qui a vécu sous une dictature terrible où l’expression était censurée autant que ses instigateurs étaient tués. Parler maintenant que c’est possible et évacuer le poids d’années d’intériorisation imposée.

Pablo Larraín, fondateur d’une société de production touchant au cinéma comme à la télé et à la publicité, va user des ses multiples talents et facettes pour livrer un film qui va naviguer entre les références et les influences, du film-dossier témoin à la publicité, du drame intimiste au film politique fort. Le résultat est une œuvre d’intérêt national voire international où, à travers l’histoire de son pays, le cinéaste aborde autant l’importance de la communication surtout dans le monde moderne, que l’histoire à chaud de sa patrie qu’il exhume sans l’exhumer tant elle est encore récente et dans tous les esprits. Disparitions, assassinats, emprisonnements, violences, censure, répression, Pablo Larraín arrive à mettre en avant les horreurs du régime Pinochet sans pour autant faire dans le drame lourd et glauque, ce vers quoi bon nombre serait allé par logique ou facilité. Plus délicat, Pablo Larraín passe avec talent par le registre de la chronique douce et non sans humour, malgré des montées de tension qui prend aux tripes (la manifestation, les menaces à domicile). Passionnante plongée dans la façon dont un pays a gagné ses galons de Démocratie, No est l’un des meilleurs films du mois, une fascinante et captivante incursion témoin, dans l’histoire chargée de ce pays sud-américain, aidée par une reconstitution tout simplement bluffante et parfaite. Et Larraín d’utiliser un langage universel qui parle autant de son pays qu’il n’a une résonance mondiale. Un petit film qui a tout de grand, qui arrive à être à l’intérieur comme à l’extérieur de son sujet pour à la fois le raconter et le contempler, qui arrive à parler au monde entier avec aisance et facilité malgré sa complexité, un film qui se regarde autant comme une page d’histoire que comme une leçon décryptant certains mécanismes de la société actuelle. Avec son esthétique volontairement rétro (un look proche du rendu vhs) pour se confondre de façon troublante dans l’époque à laquelle il se déroule, No est un film brillant presque à tous les égards, auquel on pourra seulement reprocher son point de vue unique entièrement axé sur le regard de la campagne et de la communication, laissant de côté la lutte sociale qui soutenait ce vent de libération souhaité. Le film manque du coup d’ampleur et d’une totale justesse historique. Il s’agit là d’ailleurs du principal point d’achoppement entre lui et le critiques chiliennes où il n’a pas reçu le meilleur des accueil.

Bande-annonce :

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