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LES NUITS DE MASHHAD d’Ali Abbasi : la critique du film

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Nom : Holy Spider
Père : Ali Abbasi
Date de naissance : 2021
Majorité : 13 juillet 2022
Type : sortie en salles
Nationalité : Danemark, France, Suède, Allemagne
Taille : 1h56 / Poids : NC
Genre : Drame, Policier

Livret de Famille : Mehdi BajestaniZar Amir EbrahimiArash Ashtiani

Signes particuliers : Un portrait sans concession (et sans tabou) de la société iranienne. 

Synopsis : Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.

 

LE FANATISME TAPI DANS LES NUITS ELECTRIQUES

NOTRE AVIS SUR LES NUITS DE MASHHAD

Ils étaient deux en compétition officielle à Cannes cette année. Deux jeunes cinéastes d’origine iranienne pour qui l’Iran et la société iranienne sont de vrais sujets de cinéma. Et cette nouvelle garde a sacrément fait parler d’elle. D’un côté, Saeed Roustaee et son excellent Leila et ses frères (notre palme d’or, très injustement boudée par le jury). De l’autre, Ali Abbasi, l’auteur de Border il y a quatre ans et dont le nouveau film, Les Nuits de Mashhad, a été couronné du prix d’interprétation féminine. Leur point commun ? Parler de la société iranienne actuelle et en dénoncer les travers. Mais chacun à leur manière, avec leur langage et leurs méthodes. Leur différence ? L’un produit ses films en Iran avec les difficultés que cela impose tandis que l’autre, naturalisé danois, travaille en Europe et bénéficie de fait, d’une plus grande liberté.
Si Leila et ses frères était sans conteste, LE grand film de la dernière édition cannoise, Les Nuits de Mashhad est tout aussi intéressant en cela qu’il peut se permettre d’aller plus loin dans le réalisme du portrait de la société iranienne d’aujourd’hui. Parce qu’Abbasi ne tourne pas en Iran (le gouvernement ne lui en a pas octroyé l’autorisation d’où son repli en Jordanie), il a pu se permettre de transgresser toutes les règles établies généralement respectées par la majorité des films purement iraniens, y compris ceux critiquant le pouvoir (comme Leila et ses frères justement). Chez Abbasi, le sexe, la nudité, le meurtre, la drogue ou la prostitution sont affichés sans détour à l’écran, parce qu’ils font partie du quotidien d’une société déliquescente. Le cinéma local, critique ou non, s’interdit de montrer ces choses pour limiter les représailles de la censure et essayer de faire passer l’essentiel, le propos critique. Encore une fois, c’était le cas de Leila et ses frères. A l’arrivée, on obtient deux films radicalement différents, l’un très sombre et très cru arborant la tenue du polar noir nihiliste, l’autre optant pour le drame familial moins « choquant » mais tout aussi pertinent dans le regard.

En tout cas, deux approches finalement très complémentaires dans leur différence, montrant chacune l’effondrement de la société iranienne selon des angles divergents. Saeed Roustaee s’y intéresse par le prisme social et économique, pointant du doigt son manque de modernité, les traditions patriarcales et les conduites politiques et géopolitiques qui impactent un petit peuple poussé vers la misère. Abbasi, lui, se penche plus sur l’intime, sur le personnel, les turpitudes de l’humain, les mœurs. Les Nuits de Mashhad peint une société iranienne en pleine dégénérescence, une société qui a basculé dans la folie, la violence, une société frustrée, corrompue, crasse et inhumaine, où l’obscurité sert l’obscurantisme. Dans les nuits chaudes de la ville sainte de Mashhad, un tueur en série en guerre contre le vice, trucide les femmes de « mauvaise vie » comme il dit, prioritairement les prostituées accrocs à l’opium. Basé sur un fait divers réel qui a secoué la ville en 2000 (un tueur en série appelé L’Araignée de Mashhad), le film est une plongée rugueuse dans les bas-fonds de Mashhad, et à travers elle de l’Iran, où s’exprime la pire misogynie, le fondamentalisme radical et cette culture patriarcale extrême. Tout en signant un thriller dramatique haletant et sous haute tension, Ali Abbasi ne rate aucune opportunité offerte par son script pour souligner son propos très ardemment politisé. On y croise un discours sur la démission du gouvernement coupable de laisser les miséreux à leur misère. On y croise un discours sur la corruption policière pour qui un « nettoyeur de rue » est finalement chose bien arrangeante. On y croise un discours très impertinent sur la frustration des hommes qui génèrent des pulsions de violence. On y croise un discours fort sur le fondamentaliste radical et enfin, on y croise un propos brûlant sur la vision de la femme et de la féminité, soumise, interdite, inconsidérée. Sur ce dernier point, le film partage ce paramètre commun avec Leila et ses frères dont c’était aussi l’une des thématiques.

Virtuose dans sa mise en scène très éclectique (tout à tour oppressante dans le thriller où infiniment précise dans le drame) et très riche dans ce qu’il raconte, sans manichéisme et avec une amertume terrible, Les Nuits de Mashhad est un grand film fiévreux, jamais austère et d’une redoutable intelligence sur le fond comme sur la forme.

Par Nicolas Rieux

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